Synthèse - Thème 2 : L'autonomie des universités, "acte II" : à quel prix ?
Sous l’impulsion du président de la République, dans son discours du 7 décembre 2023, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a lancé le 26 mars l’expérimentation de l’acte II de l’autonomie des universités, avec neuf établissements pilotes désignés volontaires. C’est une vraie casse des statuts des personnels et du Code de l’éducation qui est au programme. Ce programme - caractérisé par l’absence de règles et l’avènement de l’arbitraire - est destructeur à la fois pour les enseignant⋅es déjà en poste mais également pour les enseignant⋅es et enseignant⋅es-chercheur⋅es en devenir. Le maintien des statuts actuels est une garantie afin de pouvoir accomplir nos missions d’enseignement et de recherche et pour un service public d’enseignement supérieur et de recherche de qualité.
Une absence de démocratie
Les points d’expérimentation sont actuellement choisis par les seules équipes présidentielles des établissements « pilotes », sans consultation des personnels, parfois même sans les en informer, dans l'opacité la plus totale. Le SNESUP-FSU rappelle que les points d’expérimentation correspondent aux prérogatives des CSA et des CA d’établissements qui doivent impérativement être informés et consultés.
Par ailleurs, un certain nombre des objets d’expérimentations ou qui sont explorés dérogent aux décrets et entraînent les universités dans l'illégalité.
Le SNESUP-FSU s’oppose fermement à toute tentative de modification des textes réglementaires (ex : suppression de la référence aux 192 h pour les enseignant⋅es-chercheur⋅es ou aux 384 h pour les enseignantes et enseignants des premiers et second degré affectés dans le supérieur - ESAS -).
Cette expérimentation n’en porte que le nom. Au contraire d’une expérimentation scientifique, aucune hypothèse ni analyse des résultats ne sont prévus. Elle ne s’appuie sur aucun bilan de l’existant et aucun bilan n’est prévu avant de généraliser le dispositif à l’ensemble des établissements à l’été 2025. Il s’agit donc en réalité du programme de l’Acte II. Le gouvernement prévoit d’étendre les points d’expérimentation à tous les établissements et tous les personnels en détricotant le code de l'Éducation et en modifiant les décrets statutaires. Ce projet ne concerne donc pas uniquement les établissements « pilotes » mais bel et bien toute la communauté universitaire.
Des mesures à combattre, inacceptables pour les personnels
Les propositions en termes de ressources humaines portent en germe la dérégulation des statuts des personnels avec pour constante la gestion locale des carrières, comme l’attribution des CRCT et CPP uniquement en local, la disparition de la qualification des MCF. Cela constitue une nouvelle attaque contre le CNU et ses prérogatives. Le transfert de la gestion des BIATSS et des enseignant⋅es de statut second degré vers les établissements, alors qu’ils et elles sont actuellement géré⋅es par le ministère ou les rectorats, est également envisagé.
Le SNESUP-FSU rappelle son attachement au CNU, au rôle et aux missions qui doivent être les siens. Notamment il souhaite lui voir attribuer un rôle décisionnaire dans la gestion des carrières des enseignant⋅es-chercheur⋅es ; il s’oppose à ce que ces missions se restreignent encore davantage, comme la suppression de la qualification pour les recrutements de MCF. Au contraire, il défend un renforcement de ses prérogatives, en confiant au CNU un dispositif de repyramidage national des enseignant⋅es-chercheur⋅es à l’opposé du dispositif actuel qui fait la part belle au localisme.
La mesure prévoyant de déconcentrer la gestion des ESAS, en la confiant à chaque établissement pendant la durée de leur affectation, sera à l’origine de nombreux retards de carrière pour les personnels concerné⋅es et d’inégalité sur tout le territoire, sans compter qu’elle pourrait être un premier pas vers la création d’un nouveau corps d’enseignants moins protecteur et auquel le SNESUP-FSU est fermement opposé. Les établissements se verraient alors attribuer des quotas annuels de promotion de grades (pour l’accès à la hors classe et classe exceptionnelle), sur la base du nombre de promouvables dans l’établissement et non pas au niveau national, privant les collègues des établissements sans vivier suffisant de pouvoir candidater à une promotion. De plus, les établissements seraient libres de ne pas utiliser tout leur contingent de promotions, comme c’est le cas actuellement pour les promotions de grade des enseignant⋅es-chercheur⋅es. Sous l’effet des décisions du ministère, entre 2022 et 2024, le nombre de promotions à la hors-classe des MCF autorisées au niveau national a diminué de 48 % et pour l’échelon exceptionnel de 58 %. Cela est contraire au principe d’une carrière sur au moins deux grades inscrit dans le protocole PPCR. Pour les enseignant⋅es de statut second degré, la FSU a au contraire obtenu que le principe d’accès à la hors-classe pour toutes et tous soit respecté par application d’un barème national unique tenant compte de l’ancienneté. Au contraire, la gestion locale pour les EC a montré que les chances de passer à la hors-classe diminuaient avec l’ancienneté dans le corps.
Un premier Acte de l’autonomie qui a entraîné une dégradation de nos conditions de travail
Ces mesures sont la prolongation de la Loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU), promulguée il y a 17 ans, que le SNESUP-FSU continue de combattre et dont il demande l’abrogation. Les effets de cette autonomie, qui avait été présentée par certains comme une avancée, sont catastrophiques : l’Etat n’a pas augmenté les subventions pour charge de service public en fonction de l’augmentation de la masse salariale et des effectifs étudiants. Cela a conduit notamment à l’augmentation du nombre de contractuel⋅les et de vacataires, ainsi qu’à l’augmentation du nombre d’heures complémentaires faites par les enseignant⋅es titulaires. Les heures complémentaires et les heures effectuées par les vacataires représentent chacune un volume de 5 millions d’heures par an. L’autonomie a également conduit à un gel des recrutements des titulaires, à un moment où les effectifs étudiants ont explosé dans les universités, conduisant à un sous-encadrement et au développement de contrats précaires dans nos établissements. Cette tendance va s’intensifier avec le boom des départs à la retraite à venir d’ici 2030.
Pendant ce temps, les enseignant⋅es et enseignant⋅es-chercheur⋅es contractuel⋅les, aussi appelé contrats LRU, voient leur nombre multiplié dans les établissements - près de 2500 à l’heure actuelle - de même que les contractuel⋅les sur postes vacants du second degré, qui sont près de 1700. Comme pour les nouveaux contrats de chaires de professeurs junior (CPJ) qui ont été créés par la LPR, ces contractuel⋅les LRU se retrouvent sous pression, loin de pouvoir bénéficier de la liberté académique pour les activités d’enseignement et de recherche défendue par le SNESUP-FSU. En lieu et place de cette dérégulation rampante des statuts, le SNESUP-FSU demande la titularisation des contractuel⋅les qui pourront profiter de l’aspect protecteur des statuts nationaux et la création des emplois d’enseignant⋅es et enseignant⋅es-chercheur⋅es à la hauteur des besoins de formation. Le SNESUP-FSU défend le statut des enseignant·es et enseignant·es-chercheur·es au bénéfice de toutes et tous, titulaires comme non-titulaires.
Alors que le ministère propose d’étendre les procédures de pré-titularisation, sur le modèle des CPJ, aux MCF, le SNESUP-FSU rappelle son opposition à la création de nouveaux corps d’EC et d’ESAS, qui entraînerait une dérégulation des obligations réglementaires de service et une comptabilisation des services sans référence nationale. Le SNESUP-FSU réclame, en lieu et place de ce projet d’alourdissement de la charge de travail, une baisse des services à 125 h pour les EC et 250 h pour les ESAS (lien vers texte du congrès d’orientation). Dans ce contexte, un alourdissement de la charge de travail par l’ajout de nouvelles missions statutaires pour les EC et ESAS, ou une modulation à la hausse sont inacceptables et ce d’autant plus que toutes les activités effectuées par tous les enseignant⋅es - titulaires et non-titulaires - du supérieur ne sont pas prises en compte dans tous les établissements d’enseignement supérieur ou alors de manière inéquitable sur tout le territoire. L’instauration d’un référentiel d’équivalence horaire pour toutes et tous, y compris les agent⋅es non-titulaires, avec une grille nationale pour les équivalences, est une nécessité afin de lutter contre ces inégalités et le localisme.
Réforme de la gouvernance
Il est également envisagé que les établissements puissent adopter le statut de Grand Établissement, avec « un cadre juridique minimum » afin de pouvoir « faciliter » la « gouvernance » des établissements comme c’est le cas dans les établissements expérimentaux (EPE) actuels, sous prétexte d’amélioration de la visibilité à l’international ou la promesse d’une augmentation des financements par appel à projet par le ministère.
Ces EPE se caractérisent par un affaiblissement de la représentativité des personnels et des étudiant⋅es dans les conseils centraux, ce qui accroît le pouvoir du ou de la président⋅e de l’établissement. Une fois que cette expérimentation est lancée, avec le poids important des personnalités extérieures et la sous-représentation des personnels et des étudiant⋅es élu⋅es dans les conseils d'administration, le retour en arrière est en pratique complexe et l’équipe de direction ayant mis en place l’expérimentation est quasiment assurée de se maintenir à la tête de l’établissement. La création de structures intermédiaires, différentes entre tous les établissements - pôles, composantes internes, … - complexifie les décisions. La disparition de certains conseils centraux génère des inégalités, rendant les processus de décisions illisibles pour les collègues qui s’en trouvent éloigné·es. Dans certains établissements, on assiste à la séparation des structures, avec des structures uniquement consacrées à la formation et d'autres à la recherche. Cette situation génère une grande tension entre les collègues qui se retrouvent à gérer une pénurie organisée par le ministère. Encore une fois, ces modifications sont imposées à la communauté universitaire. Aucun nouvel EPE ou transformation en Grand Établissement ne doit être mis en place.
Le SNESUP-FSU demande que tous les EPE engagent leurs sorties de l’expérimentation, avec un retour à des universités régies par les dispositions communes du Code de l’éducation avec des vraies instances de gouvernance collégiale. De même pour les établissements qui sont déjà sous statut de Grand Établissement.
Le SNESUP-FSU défend le dialogue entre la formation et la recherche au sein de composantes de formation et de recherche, telles que les UFR, les instituts ou les écoles, qui est un fondement de l’université. Pour aller encore plus loin, le ministère propose de supprimer les règles spécifiques qui régissent les instituts et écoles internes, ainsi que des services communs - comme le SUAPS, les services de santé des étudiant⋅es, les services communs d’orientation ou les services communs de documentation. La suppression des dispositions régissant les services communs du code de l'Éducation est une atteinte particulière sur les SUAPS et permettrait en particulier aux établissements de couper le lien entre le SUAPS et la formation des étudiant⋅es dans le domaine des activités physiques et sportives. La suppression ouvre également la porte à la sous-traitance de certaines missions au privé, voire de suppression pure et simple de certaines missions.
La suppression des règles spécifiques concernant les instituts, dont les IUT, arrive alors que les collègues des IUT sont déjà au bord de l’épuisement suite entre autres à la mise en place de la réforme du BUT. L’acte I de la LRU avait déjà porté un coup à l’autonomie des instituts, l’acte II achève le travail en proposant de supprimer toutes les particularités de ces derniers.
Les dangers de la dévolution du patrimoine
Parmi les expérimentations proposées, la facilitation de la dévolution du patrimoine - qui a débuté en 2011 suite à l’acte I - et du recours à l’emprunt portent les germes d’une mise en faillite programmée des établissements. Cette dévolution va aggraver encore plus le déficit financier et en personnel nécessaire pour l’entretien des bâtiments. Le SNESUP-FSU est opposé à ce nouveau défaussement de l’État. Les établissements seraient même libres de vendre ou de louer des bâtiments universitaires afin de combler des déficits, qui sont organisés par le ministère lui-même. Il sera impossible de les entretenir car les fonds de roulement, qui devraient permettre d’investir, sont utilisés pour du fonctionnement. Cela présage une dégradation des bâtiments et, à terme, leur destruction ou leur cession au privé. Au contraire, le SNESUP-FSU défend la mise en place d’un vrai plan de rénovation de l’ensemble du patrimoine immobilier des établissements d’enseignement supérieur et de recherche pour faire face au défi du changement climatique, conformer le patrimoine aux normes de sécurité, et pouvoir accueillir la croissance des effectifs en investissant au moins 1 milliard d’euros par an pendant dix ans. Le financement de ce plan doit être porté par l’État et les collectivités territoriales sans contraindre les établissements à s’endetter, à geler des emplois et à recourir aux partenariats public-privé (PPP).
Autonomie de l’offre de formation
Dans le cadre de cet acte II, un renforcement de l’autonomie sur l’offre de formation est également au programme. Loin d’un choc de simplification, un choc de complexification s’annonce avec chaque établissement créant son propre diplôme, mettant de facto les établissements en concurrence entre eux. Le SNESUP-FSU est attaché au caractère national des diplômes et à une évaluation a priori par le CNESER avant l’ouverture d’une formation dans les établissements d’enseignement supérieur. De plus, en permettant aux établissements de fixer leurs capacités d’accueil en adéquation avec les moyens alloués, tou⋅tes les bachelier⋅es n’auront pas accès à l’enseignement supérieur et au droit à la poursuite d'études. À l’aune de la rigueur budgétaire et de la soutenabilité des formations, une dérégulation avec une baisse du nombre d’heures de formation est à craindre. La suppression de l’avis de la commission des titres d’ingénieur (CTI) et de la commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion (CEFDG) pour délivrer le titre d’ingénieur, la déclaration préalable pour délivrer un diplôme en partenariat international ainsi que de l’obligation de soumission préalable au MESR des conventions internationales pourra ouvrir à la création d’un marché des diplômes.
Lien avec les organismes de recherche
À la suite du rapport Gillet, le ministère a lancé à la rentrée 2023 une expérimentation de « simplification » des relations avec les organismes de recherche avec les établissements d’enseignement supérieur sur 17 sites, en plus des 9 expérimentant l’acte II, de manière encore une fois complètement opaque et sans consultation. Les premières mesures apparaissent extrêmement technicistes, avec le risque que les tâches administratives se reportent sur les collègues. Derrière le terme de simplification se cache en fait une déshumanisation.
Le congrès s’oppose totalement à ce projet gouvernemental et exige son abandon. Il faut de plus mettre un terme définitif à la LRU en l’abrogeant.
Le congrès mandate le bureau national - en lien avec les autres syndicats de la FSU - pour reprendre la trame du document qui a fuité en rappelant les mesures illégales à ce jour ainsi que les mandats du SNESUP-FSU et ainsi étayer le contre-projet qu’il propose.
Vote du texte : 64 POUR ; 4 contre ; 1 NPPV