LPPR - Analyses SNESUP-FSU et SNCS-FSU des positions de sciences citoyennes - Février 2020

Publié le : 13/02/2020

 

 

 

À l'occasion des débats législatifs qui vont s'organiser autour du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), élaboré par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) un séminaire de travail « Pour une recherche avec et pour les citoyens », est organisé le 13 février 2020 à l’Assemblée nationale à l'invitation des député-es, Mme Buffet, Mme Victory et M. Prudhomme, et de l’ensemble des acteurs de la recherche publique.

 

Les trois thèmes proposés par les organisateurs sont :
  • Recherche sur projet, financement compétitif et financement des laboratoires
  • Attractivité des emplois et des carrières scientifiques
  • Innovation et recherche partenariale.
 
Le SNCS-FSU et le SNESUP-FSU résument dans ce texte leurs points de vue sur trois questions discutées avec l’association « Sciences Citoyennes » (SC) co-organisatrice du séminaire :
1. Quels sont les acteurs légitimes pour effectuer les choix scientifiques et techniques?
2. Quel est le sens du métier de chercheur et enseignant-chercheur au XXIe siècle?
3. Avec quel(s) partenaire(s) préférentiel(s) la recherche doit-elle être menée?
4. Tiers secteur scientifique

 

  1. Quels sont les acteurs légitimes pour effectuer les choix scientifiques et techniques ?

Les premiers acteurs légitimes pour effectuer des choix scientifiques et techniques concernant la recherche académique publique (EPST et/ou Universités) sont les chercheur·es et enseignant·es-chercheur·es elles·eux-mêmes, en raison de leur aptitude à maitriser les outils et les problématiques de la recherche, à en exploiter les résultats et à les faire connaître à la communauté scientifique mondiale. Cette restitution peut certes se faire sous une forme contractualisée dans certains cas d’une recherche finalisée (type ANR, industrie), elle s’effectue plus généralement selon diverses formes plus ou moins spécialisées en direction des enseignements universitaires et vers la société. Dans ce contexte, les démarches de la « science ouverte », elle-même en évolution et en plein débat, serait pertinente.

 

Il est cependant essentiel de préserver une part déterminante de recherches qui ne relèvent pas directement d’une démarche de responsabilité économique, environnementale ou sociale, afin de lutter contre la dérive continue vers un contrôle des orientations de la recherche par le secteur industriel voire sociétal, sous couvert d’urgences thématiques comme l’environnement, le climat, ou la santé. La recherche fondamentale alimentée par les questionnements propres aux chercheur·es, demeure le terreau indispensable à des découvertes majeures non anticipées, et constitue un préalable plus finalisé.

 

Parmi les différentes formes de pilotage de la recherche publique il est proposé par Sciences Citoyennes la mise en place d’un pilotage citoyen.

 

Une cascade de conventions « primaires » puis « secondaires » serait chargée de définir et d’arbitrer les objectifs généraux de la recherche et d’en tirer les conséquences sur la répartition budgétaire (MIRES, PIA, CIR), les indicateurs de la recherche et tout autre aspect jugé légitime. Ces conventions pourraient aboutir à renforcer des appels d’offre de type ANR sur des thématiques sociétales. Le SNCS-FSU et le SNESUP-FSU s’opposent à ce type de renforcement du pilotage de la recherche publique, qu’il soit sociétal ou qu’il relève d’intérêts économiques, politiques ou industriels. Ils revendiquent au contraire un retour conséquent au financement de base des laboratoires à hauteur des deux-tiers de leurs budgets pour que cesse le déséquilibre croissant entre d’une part, les dotations garanties, et d’autre part, les crédits dépendant de la réussite d’appels à projets ou de ressources propres liées à des contrats passés avec des entreprises.

 

Cette revendication correspond précisément à la récente motion de la Conférence des présidents du Comité national (CPCN), soutenue par le Conseil scientifique du CNRS et demandant expressément « une augmentation forte des crédits de base des laboratoires qui n’ont plus aujourd’hui les moyens de conduire des recherches exploratoires ou de mettre en œuvre une stratégie scientifique », tout en insistant sur une impérative « réforme des dispositifs d’incitations à la recherche partenariale et à l’innovation, dont la performance est de l’avis général, très insuffisante (CIR ou Crédit Impôt Recherche en particulier) et dont la focalisation sur les partenariats avec l’industrie est trop restrictive »1.

 

En revanche, il reste parfaitement légitime que la recherche publique soit largement inspirée par des défis sociétaux majeurs, à la définition desquels l’ensemble des personnels de la recherche pourraient et devraient participer, en tant que professionnelles mais aussi en tant que citoyennes. L’utilisation détournée des financements récurrents des laboratoires de la recherche publique en direction de la recherche industrielle via le CIR n’est pas acceptable. Pour autant, le remplacer par d’autres dispositifs de pilotage, fussent-ils conduits par les citoyennes et la recherche participative, n’est pas une alternative viable. La recherche participative peut être une option offerte aux acteurs professionnels de la recherche.

 

Il est également proposé par Sciences Citoyennes d’organiser ce «pilotage citoyen» de la recherche sous tutelle du HCERES et du CESE, avec pour mission la mise en œuvre effective des recommandations des « Conventions de citoyens » par le MESRI, l’ANR et les organismes de recherche. Ni le SNCS-FSU ni le SNESUP-FSU ne reconnaissent le HCERES comme une institution représentative de la communauté scientifique. Le HCERES est une agence d’évaluation et non pas un opérateur de recherche comme les établissements universitaires et les organismes de recherche (EPST, EPIC). De plus le SNCS-FSU et le SNESUP-FSU s’opposent à ce que le HCERES intervienne par le résultat de l’évaluation sur l’attribution des moyens par les opérateurs tel que le préconisent certains dont le rapport du GT1. Seuls le Comité National de la Recherche Scientifique (CoNRS) et le Conseil National des Universités (CNU) sont légitimes pour représenter les scientifiques chercheur·es et enseignant·es chercheur·es.

 

Le SNCS-FSU et le SNESUP-FSU réaffirment que la recherche fondamentale ne peut pas être pilotée par les citoyennes, pas plus que par les intérêts économiques ou sociétaux, tout en rappelant la nécessité d’échanger entre les citoyennes et les scientifiques sur les avancées de la science.

 

Néanmoins, pour garantir une ouverture de la recherche publique à la société civile, dans les limites indiquées précédemment, des représentantes du secteur associatif pourraient légitimement prétendre à une représentation dans les instances de gouvernance des organismes de recherche (Conseil d’administration) à côté des personnalités représentatives du monde du travail, et en raison de leur compétence dans le domaine économique et social.

 

  1. Quel doit être le sens du métier de chercheur au XXIe siècle ? 

 

Il convient plus légitimement de parler des métiers de la recherche. Pour faire fonctionner la recherche en effet, le service public a aussi besoin des personnels ingénieures, techniciennes et administratifves que de chercheur·es, qui sont en général ignorées, voire considérées comme remplaçables par des bénévoles (ou des doctorantes salariées) des associations. Pour adapter les missions des chercheures aux enjeux actuels, il est proposé par Sciences Citoyennes de modifier le code de la recherche2, pour « intégrer les missions des productions de connaissances avec la société civile non marchande, le transfert large des résultats de recherche, le devoir d’alerte et l’explicitation des enjeux autres que scientifiques dans les recherches menées ». L’ensemble de ces missions relève bien des métiers de la recherche, sous réserve de ne pas accroître la charge de travail des personnels concernées ; il n’est pas nécessaire de rajouter cela dans le code de la recherche.

 

Si le fonctionnement du CoNRS est largement perfectible, il n’est pas pour autant nécessaire que les structures nationales existantes pour l’évaluation des recherches soient complétées ou concurrencés par de nouvelles structures3.

 

Différents dispositifs de valorisation pour les chercheures travaillant à la co-production des connaissances avec la société civile non-marchande sont proposés par Sciences Citoyennes mais induisent nécessairement de nouvelles formes de gratifications ou de primes dont nous avons toujours récusé le principe. Ce débat sur les primes prend d’ailleurs toute son importance dans le cadre du projet de réforme des retraites, avec les récentes propositions du MESRI, de compenser partiellement la baisse prévisible des pensions par des primes.

 

En ce qui concerne la mobilité des chercheures entre le secteur associatif et les organismes de recherche, les statuts actuels des chercheur·es comme des enseignantes-chercheures le permettent déjà. En tout état de cause, ces changements d’orientation ne doivent dépendre que du souhait des personnels concernées.

 

  1. Avec quels acteurs la recherche doit-elle être menée ?

La proposition de Sciences Citoyennes de mettre en place des lignes budgétaires dédiées à la recherche participative dans le budget de chaque organisme de recherche est tout à fait recevable, sous réserve qu’elle ne se fasse pas au détriment des financements récurrents et non finalisés des laboratoires. De ce fait, ces recherches participatives pourraient se développer au même titre que tout autre projet de recherche, sans introduire de compétition ou priorité supplémentaire. Comme les dispositifs dont bénéficient déjà les entreprises, ces recherches pourraient ainsi se développer en adaptant les conditions d’obtention pour les structures associatives et en favorisant leur éligibilité.

 

En revanche, ainsi que nous l’avons déjà souligné, le développement de ce type de recherche ne devrait pas induire de lignes budgétaires renforcées de l’ANR.

 

  1. Tiers secteur scientifique

 

En introduisant ce terme dans ses propositions, Sciences Citoyennes reprend le leitmotiv du Livre Blanc édité par l’association ALLISS 4,5. Il présuppose que se développe, en parallèle des « secteurs scientifiques » existants un « tiers secteur associatif » doté de financements récurrents et du droit à orienter certaines recherches académiques. Nous l’avons déjà exprimé6, il ne peut être admis que « seules les associations (donc le privé non lucratif) seraient mieux à même de jouer le rôle de médiation que des structures publiques, entre recherche et société, notamment vers les collectivités territoriales […] La réalité est qu’aujourd’hui, c’est la recherche publique qui est la plus proche de ce « tiers état », surtout si on veut bien considérer son manque cruel de financements stables, la précarité massive des emplois et le fait qu’on ne la consulte même pas quand on parle de son avenir. […] Si certains modèles alternatifs ont pu se développer à petite échelle et sous certaines conditions, notamment dans le champ de l’éducation populaire scientifique, il n’en demeure pas moins que ce serait une erreur de les généraliser, sans réflexion et avec des effets pervers encore non anticipés, surtout quand on veut leur octroyer de nouveaux droits collectifs. »

 

Des dispositifs de type « Conventions associatives de formation par la recherche (CAFRE) », sur le modèle des Conventions industrielles de formation par la recherche (CIFRE), pourraient toutefois efficacement combler ce déficit de recherche orientée vers la société et les secteurs associatifs. Par ailleurs, la proposition de créer un nouveau département « Science et société » au sein de chaque organisme de recherche, avec pour mission de favoriser l’ouverture de l’établissement à la société civile, ne ferait qu’ajouter des strates supplémentaires aux mille-feuilles toujours plus complexes et bureaucratiques de la recherche publique.

 

En conclusion, les propositions de Sciences Citoyennes dans ce domaine d’interface entre la recherche publique et les mouvements associatifs, peuvent présenter certains aspects novateurs. Cependant, sans compter le risque accru de bureaucratisation, leur mise en œuvre induirait de nouvelles contraintes bridant un peu plus la liberté de la recherche que nos deux syndicats considèrent comme un principe essentiel à nos métiers. Le SNESUP-FSU et le SNCS-FSU ne peuvent donc valider ces propositions en l’état.

 


1. Motion CPNC, 17 janvier 2020

2. Code de la recherche Article L-411-1 du Code de la recherche modifié

La proposition de Sciences citoyennes que « les personnels de la recherche concourent à une mission d'intérêt national, qui comprend le développement des connaissances dans un cadre transdisciplinaire en particulier en co-production avec la société civile non marchande et leur transfert vers les associations et fondations, reconnues d'utilité publique, et dans tous les domaines contribuant au progrès de la société » correspond largement à un état de fait, à l'interface sciences-société.

« Le devoir d’alertes et la mise en débat des connaissances produites dans leurs dimensions éthiques, économiques, environnementales et sociales » sont déjà inscrits dans le statut des fonctionnaires, donc s’appliquent aussi aux personnels de la recherche.

« À travers l’ensemble des missions énoncées ci-dessus, les activités des personnels de la recherche devront s’inscrire dans une démarche de responsabilité économique, environnementale et sociale ». Voire le texte principal soulignant l'impérieuse nécessité de garantir une large part d'initiatives de recherche, propres aux chercheures eux/elles-mêmes, sans aucune implication économique, environnementale et sociale.

 

3. Voir les analyses syndicales détaillées sur le fonctionnement du CoNRS.

 

4. Le chercheur, le financier, le ministre et le citoyen : de nouvelles variations pour cette fable intemporelle ? C. Mirodatos, C. Blondel et P. Monfort, VRS 408, 2017

 

6. P Monfort, « LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE>>, Le Monde, MERCREDI 10 MAI 2017. Voir aussi sur le site de l'Unesco : Recommandation concernant la science et les chercheurs ...

https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=9&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwiUptS9trznAhWL5OAKHffcD74QFjAIegQICRAB&url=http%3A%2F%2Fportal.unesco.org%2Ffr%2Fev.php-URL_ID%3D49455%26URL_DO%3DDO_TOPIC%26URL_SECTION%3D201.html&usg=AOvVaw2z8TQEhDgilu_2_2369ZMv

À citer également le texte de C. Voilliot : Que faire des libertés académiques au XXIe siècle (à paraitre dans la prochaine VRS)