Lettre ouverte d'un oncle universitaire à son frère parent

Publié le 2 novembre 2017

 

Lettre ouverte d'un oncle universitaire à son frère parent

                                                                   

Le 29 octobre 2017

 

Cher Baptiste, mon très cher frère,

Je t’écris aujourd’hui longuement, car c’est un jour assez particulier… Demain, nous aurons les annonces du gouvernement sur l’avenir du système universitaire français, et notamment les nouvelles règles pour y accéder… Je suis navré, mais cette lettre ne sera pas rigolote… J’ai vraiment peur pour Agathe et Mathilde, tes fiertés, et même si je ne les vois pas souvent, elles sont un peu la mienne aussi. En tous cas, je m’en sens responsable. Et ça m’empêche de dormir.

Je suis navré aussi que cette lettre soit si longue… Mais certaines choses sont un peu compliquées, et ont besoin de temps pour être expliquées… Et puis l’avenir de tes enfants, de notre jeunesse, de leur société, vaut bien les quelques dizaines de minutes que tu passeras à me lire.

Mathilde découvre à peine l’école, et ce n’est déjà pas l’école que nous avons connue… Des années de politique irresponsable l’ont ravagée, et je pèse mes mots. Je ne vais pas t’assommer d’indicateurs, mais c’est très simple : ils sont tous au rouge. A tel point que l’Education nationale n’arrive même plus à recruter, et se retrouve à relancer un concours de recrutement un mois après la rentrée, à grand coup de campagne de pubs, pour essayer de combler les trous, avec une seule obsession : recruter n’importe qui, du moment que les parents puissent déposer leurs enfants à l’école et aller bosser. Éviter la colère, éviter la prise de conscience, c’est la seule chose qui leur importe.

Alors, tu as de la chance, dans ton village ça se passe encore pas trop mal… Mais un jour, Agathe et Mathilde voudront sans doute faire des études supérieures, peut-être pour avoir un boulot qui leur convient, peut-être pour apprendre quelque chose qui leur tient à cœur.

Et ça, c’est maintenant que ça se joue.

Demain, il va y avoir des annonces et du blablabla politicard. La petite musique bien rodée par les communicants donnera le vernis habituel. Ce vernis qui fait que le doute ou la certitude que ces décisions ne sont pas à notre avantage ne se transformeront pas en colère, en resteront au stade de l’incompréhension.

Alors, même si les annonces ne sont pas encore faites, elles sont cousues de fil blanc… Et quelque part, c’est ma responsabilité d’oncle universitaire de te permettre de les comprendre, pour que tu puisses assumer ta responsabilité de parent, dont je ne peux qu’imaginer le poids.
 

Si vous n’étiez pas totalement déconnectés cet été avec Anne-Lise, vous avez entendu que le taux de réussite à l’Université était catastrophique et que des tirages au sort ont eu lieu par manque de places… Que l’Université était “à bout de souffle” (genre , , ou ). Comme si répéter inlassablement quelque chose finissait par le rendre vraie. Il s’agissait pour les idéologues qui nous dirigent de préparer le changement.

Demain, tu vas entendre des choses contradictoires : les universités pourront sélectionner, c’est à dire choisir leurs étudiants, mais les étudiants pourront décider et auront tous une place… Tu vas aussi entendre qu’on va mieux articuler secondaire (avant le BAC) et le supérieur (après le BAC). Et tu ne vas rien comprendre.

Alors je vais t’expliquer concrètement ce qu’il va se passer.

 

Concrètement après le bac

A l’Université, nous allons établir des “profils” étudiant pour chaque formation. Des “profils”, des “pré-requis”, ou de “l’orientation”... Le nom change tout le temps, ce qui en dit long sur la confusion de ceux qui décident, juste parce qu’ils n’ont pas le courage d’utiliser le bon mot : la sélection. On va tout simplement décider que telle ou telle personne pourra ou ne pourra pas aller dans telle ou telle formation, même à l’Université.


Pour faire ça, on va utiliser nos supers indicateurs : 90% des Mathilde réussissent dans la filière “soufflage de bougie”, alors que 95% des Agathe y échouent. Il paraît donc bien naturel que Mathilde puisse y entrer, et qu’on évite à Agathe d’y perdre son temps et quelques plumes (et du précieux pognon universitaire, mais chut...).


Oui, mais voilà : ces indicateurs sont justes, mais ils ne disent rien sur ta Mathilde et ton Agathe. Ta Mathilde peut aussi bien être dans les 90% des Mathilde qui réussissent, que dans les 10% qui échouent. Et ton Agathe peut aussi bien être dans les 95% des Agathe qui échouent, que dans les 5% qui réussissent.

En réalité, ton Agathe peut bien avoir 100% de chance de réussir, aucun dossier, aucun critère, aucun entretien ne pourra jamais le prouver.

Crois-en l’expérience d’un gars qui se tape depuis bientôt 10 ans des dizaines de dossiers de lycéens qui veulent entrer à l’IUT chaque année, et qui a expérimenté différentes manières de les sélectionner : on ne sait pas prédire la réussite d’un individu. L’humain est ainsi fait qu’il ne cesse de nous surprendre. Le plus assidu des étudiants peut bien craquer et tout plaquer pour parcourir le monde. Le plus cancre de tous peut bien trouver sa voie et se révéler. Et c’est très bien ainsi.

Et ça, ils le savent pertinemment, mais il n’en ont rien à faire de ta Mathilde et de ton Agathe. Le gouvernement et les patrons d’universités ne souhaitent plus financer l’Université, en tout cas pas celle qui forme notre jeunesse. Les machins prestigieux pour faire un concours de qui a la plus grosse, oui. Mais l’Université tranquille qui pourra former Mathilde et Agathe, non. Ça leur rapporte quoi, à eux, de toute façon, la formation de ta Mathilde et de ton Agathe ?

Donc avec cette sélection, Mathilde va se retrouver avec des Mathilde. Déjà, c’est pas terrible. Ça aurait été mieux qu’elle se mêle un peu à d’autres. Mais bon, au moins elle aura la formation supérieure de son choix, ou du moins une formation supérieure.

Et pour Agathe… Et bien… Tout est prévu. Soit ce sera une formation professionnalisante courte, dans une filière qui a du mal à recruter, et tant pis si ça ne l’intéresse pas. Soit ce sera une année de remise à niveau/préparation/propédeutique. Là aussi nos dirigeants deviennent confus parce qu’ils n’ont pas le courage d’utiliser les bon mots : des filières poubelles, mises en œuvre à la va-vite avec pour seul objectif de permettre à l’Université de remplir son obligation légale d’accueillir tous les bacheliers, et surtout d’éviter une révolte.

On peut même lire des trucs géniaux écrits par nos patrons, du genre “L’accent sera mis sur les transformations pédagogiques, en abandonnant évidemment la logique stricte du « présentiel » pour la notion plus souple d’« équivalent présentiel ».”. Imbitable, hein ? C’est pourtant limpide : si Mathilde ou Agathe ne sont sélectionnées nulle part… l’Université va les accueillir… sur un site web ! Où elles seront livrées à elles-même face à des vidéos et des QCM permettant d’obtenir ces fameux équivalents présentiels.
 

Evidemment, si tu es attaché à la logique stricte du présentiel, c’est-à-dire à la présence d’un prof qui fait bien plus que juste débiter des savoirs, et surtout si tu en as les moyens, tu pourras leur payer la formation de leur choix. N’oublie pas que tout ça n’est qu’une question de moyens. Avec suffisamment de fric, on pourrait former tout le monde à l’Université, comme on l’a toujours fait. Donc avec du fric, tu pourras lui choisir une des écoles privées qui fleurissent un peu partout, à bas bruit, mais de façon spectaculaire. Ou tu pourras l’envoyer loin de la maison, dans une université qui a de la place, en payant le transport, la bouffe et le logement.

Alors, je te le dis Baptiste, mets  du pognon de côté. Plein. Parce que ça va coûter les yeux de la tête. Je te passe les statistiques sur les prêts bancaires étudiants, c’est une véritable boucherie.

Mais ce pognon ne sera pas suffisant… Parce que tu te doutes bien que s’il y a de la place dans cette université éloignée, et pas dans les autres, c’est qu’il y a un hic. C’est que cette université est forcément moins bien. Parce qu’à partir du moment où les étudiants ne peuvent plus simplement rentrer dans l’université la plus proche, ils vont essayer de rentrer dans l’université la meilleure. Et ça, ça change tout. Pas seulement pour Agathe, mais aussi pour Mathilde, avec ses bons résultats en soufflage de bougie.

Ce n’est plus seulement la mention, nationale, du diplôme qui va compter, mais l’université qui la délivre. Et ça, ça plaît bien à nos patrons, qui aiment bien se les mesurer, leurs universités. Et pourquoi ils aiment bien ça ? Parce que celui qui a la plus grosse pourra faire payer plus cher ses étudiants, et donc avoir plus de pognon pour faire encore plus de trucs prestigieux qui leur permettent de se la péter (et de briguer un joli fauteuil pour leurs petites fesses à eux, mais chut…).

Dans mon université, les frais d’inscription ont augmenté de 27% en 4 ans. À bas bruit. Bien sûr, les frais de base pour le quidam de base restent les mêmes… Mais les DU, Diplômes d’Université, payants, se sont développés à vitesse grand V, pour ceux qui peuvent se le permettre. Dans certaines filières, le diplôme d’état ne vaut déjà plus rien pour trouver un emploi, s’il n’est pas accompagné du DU qui va bien, avec ses juteux frais d’inscription. Chaque fois que tu entendras parler de “filière d’excellence” ou de “double cursus”, c’est de ça qu’on parle en réalité.

Et maintenant, tu viens de comprendre ce charabia à propos du grand projet que toutes les universités prennent en exemple : d’un côté les formations prestigieuses payantes, de l’autre… le reste, qui fait ce qu’il peut avec les moyens qu’il a. Y compris dans les établissements publics. Et évidemment, si ça arrive à l’Université, ça se répercutera partout, notamment par une hausse généralisée des frais de scolarité. C’est ce qui est arrivé partout où ont été ces choix ont été faits. C’est inévitable.

 

Concrètement avant le BAC

Oui, mais alors… Mettons que Mathilde soit arrivée au BAC avec mention très bien, que son dossier scolaire soit parfait, et que tu aies le pognon pour lui faire suivre le double cursus qui va bien… Est-elle pour autant tirée d’affaire ?

Hé bien non… Parce que la sélection aura commencé bien plus tôt, dès le collège. Ouais, sans déconner. Ils sont là, avec leur cartable Dora l’exploratrice et leurs pulls Pokémon… Et on est déjà en train de les sélectionner. Et bien plus encore qu’aujourd’hui. D’ailleurs, tu verras que demain ils vont te parler des profs de lycée qui pourront donner leur avis sur l’orientation.

Il faudra espérer qu’Agathe et Mathilde soient suffisamment mûres dès le collège pour ne pas se tromper de voie.

Parce que, qu’est-ce que ça signifie vraiment ? Ça signifie que si tu n’as pas mis Mathilde dans le bon collège, puis dans le bon lycée, dans ceux qui proposent l’option qui va bien pour rentrer dans la filière qui lui plaît, on va la lui refuser. Quels que soient ses résultats.

Rappelle-toi le début de ma lettre : l’école est ravagée. Le BAC, premier diplôme universitaire national, ne garantit plus rien. Le réparer coûterait de l’argent, il faut donc le remplacer. Tu serais bien fou de croire qu’on va le remplacer par des avis pédagogiques. Non, on va le remplacer par l’établissement qui le délivrera. Nos patrons d’université savent bien que les bacheliers issus des lycées où nous avons été inscrits tous les deux sont bien moins prestigieux que ceux inscrits dans ce qu’on appelait les lycées de bourges.

La sélection à l’Université est la solution proposée au manque de moyens de l’Université. La sélection au collège et lycée sera la solution proposée au manque de moyens des collèges et lycées. Donc il te faudra aussi prévoir du pognon pour leur collège et leur lycée, à Mathilde et Agathe.

Du pognon parce que tu devras sérieusement envisager de les envoyer loin, dans le collège et le lycée qui vont bien. Il te faudra sans doute déménager. Je sais que l’encre du prêt immobilier n’a pas encore séché. Le temps des choix est arrivé. Comme aux États-Unis, dont nos patrons ne cessent de vanter les mérites du système de formation. Jusqu’à l’aveuglement de ce que ça représente pour nous. Jusqu’à l’absurde de ce que ça représente pour la société.

Ou alors du pognon parce que tu devras sérieusement envisager de les envoyer dans le privé. Et tu sais à quel point ça me fait mal de dire ça, parce qu’une société qui n’est pas foutue de permettre à toute sa jeunesse d'accéder à une éducation de qualité, quels que soient les revenus des parents, est une société triste et laide. Mais j’y reviendrai.

Malheureusement, même le pognon ne fera pas tout… Il te faudra la connaissance. La connaissance du système de formation. La connaissance des établissements, des filières et des options. Ce sera un vrai boulot. Du temps et de la sueur. Certains en ont l’eau aux babines. Ne compte pas sur les machins d’information et d’orientation qu’ils vont nous pondre : les filières qui valent vraiment le coup ont toujours été confidentielles, et ça ne fera qu’empirer.

Et il te faudra être très vigilant. Désormais, ce sera sans filet : une baisse de motivation passagère au lycée se paiera cher. La moindre tache dans le dossier, et il faudra baisser vos ambitions.

N’était-ce pas, au final, exactement ce que disait Macron avec “ceux qui ont réussi et ceux qui ne sont rien” ? Macron, qui commence sa scolarité dans un établissement privé, avant de la terminer loin de chez lui, à Paris, dans le prestigieux lycée Henri-IV ?

Donc voilà, j’en ai terminé pour ce qui est du concret… Mets du fric de côté, et prépare-toi à devoir établir un véritable projet de formation pour Mathilde et Agathe, un plan strict d’intégration de l’enseignement supérieur, préparé dès le collège, sur la base d’une véritable stratégie. Leur avenir en dépend vraiment, et aucun cadeau ne leur sera fait dans la grande compétition à la formation supérieure qui se prépare.

A qui la faute ?

Tu as dû remarquer que je parle beaucoup des patrons d’université… Ceux-là mêmes qui rabâchent inlassablement que l’Université est “à bout de souffle”...

C’est faux, bien sûr (tu peux écouter ça par exemple, ça vaut l’euro que ça te demandera). La réalité est plus complexe que leurs annonces, et l’Université plus solide que leurs réformes. En fait, l’Université continue de former un sacré paquet de mômes, et de le faire sacrément bien : pour les connaissances et par les connaissances, avec passion et professionnalisme, malgré des conditions de travail de plus en plus débiles, comme dans tous les services publics.

C’est faux, mais ça permet de justifier le changement. Parce que c’est leur gros truc, à ceux qui nous dirigent, le changement. Et toujours le même changement : moins de dépenses publiques. Et tant pis si ça menace toute notre économie, y compris la plus libérale.

Il est déjà inquiétant que nous, Universitaires, réserve intellectuelle du pays, soyons incapables de leur rappeler ça, inlassablement, quitte à hurler s’ils n’entendent pas, quitte à tout mettre en œuvre pour les destituer s’ils persistent. Mais la réalité est bien pire. Nous appliquons doctement leur idéologie délétère. Et ça en dit déjà long sur le monde qui attend Agathe et Mathilde… Et putain, ça me fout la trouille, la vraie. Je te jure, j’en ai pas dormi, et je suis en train d’en chialer sur mon clavier.

Parce que les patrons des établissements publics de formation supérieure se sont réunis pour décrire ce monde dans Concertation sociale sur l'admission dans l'enseignement supérieur et la réforme du 1er cycle : position commune des 3 conférences CDEFI / CGE / CPU, qui commence ainsi :

La Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI), la Conférence des grandes écoles (CGE) et la Conférence des présidents d’université (CPU) sont fortement impliquées dans le processus de concertation relative à l’accès dans l’enseignement supérieur et à la réussite étudiante.

Autant dire que ça ne rigole pas, ils sont tous là, ceux qui nous dirigent. Il est assez rare qu’un tel gratin se mette d’accord sur un unique texte. Je vais te passer les détails, j’ai déjà tout expliqué au-dessus. Mais ces extraits vont te permettre de mieux comprendre de quoi on parle réellement, de quelle idéologie toute cette misère est issue :

Repenser le système d’information et d’orientation [...] en impliquant davantage [...] des entreprises”. Pourquoi pas… Même si bon… Mais surtout dans quel but ?

Il est par ailleurs essentiel que [les compétences qui sont transmises aux étudiants] soient corrélées avec les compétences attendues par les employeurs et donc nécessaires pour une insertion professionnelle réussie”...

Il faut sortir un peu du dogme actuel pour comprendre toute l’idéologie que porte cette phrase, et pour comprendre les enjeux qui en découlent.

Une insertion professionnelle réussie ne dépend pas des compétences attendues par l’employeur. Il est dangereux de réduire la réussite de l’insertion professionnelle à la réussite d’un entretien d’embauche. La réussite d’une carrière, d’une vie professionnelle est bien plus que ça. Et elle nécessite des compétences qui dépassent largement celles attendues par les employeurs.

Il faut aller plus loin. La réussite étudiante se mesure-t-elle seulement à l’obtention d’un diplôme puis d’un emploi ? Est-ce que l’insertion professionnelle doit réellement être le seule rôle de l’école ? N’est-ce pas, non seulement s’exposer inutilement à l’obscurantisme, mais aussi prendre le risque de citoyens mal dans leur société ?

Faut-il croire que notre société va si bien d’un point de vue social et démocratique que nous pouvons aujourd’hui nous passer d’un élément essentiel d’émancipation de nos concitoyens ?

Voilà le véritable enjeu aujourd’hui : voulons-nous un système éducatif qui produise et transmette des connaissances pour émanciper, ou un système qui valide les compétences attendues par les employeurs pour "employabiliser" ?
 

Avons-nous réellement envie que nos enfants vivent dans une société où la connaissance est une marchandise ?

Je ne sais pas toi, Baptiste… Mais moi, ça me colle la trouille. Une vraie trouille. Ça me rappelle cet extrait, que je croyais -à tort- être du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley (en fait, c’est une Prosopopée de Serge Carfantan) :

 

Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste.

Mais est-ce vraiment la faute de ceux qui prennent ces décisions ? Ces décisions les arrangent bien, eux, finalement... Ou est-ce la faute à ceux que ça n’arrange pas, mais qui auront laissé faire ? Notre faute, finalement…

Que faire ?

Alors… Tu es ingénieur… A ce point, tu as dû comprendre que le prix qu’on s'apprête à payer, individuellement et collectivement, les prochaines années, est bien plus élevé que celui qu’il faudrait payer maintenant pour arrêter cette folie.

Mais comment faire ?
 

Déjà, la première chose à comprendre, c’est que l’Université, l'École, les profs et leurs syndicats sont totalement impuissants. Ce que je t’ai raconté dans cette lettre, tout est déjà connu et écrit depuis longtemps, depuis plus de trente ans. Et nous sommes nombreux à nous battre quotidiennement contre ça. Mais nous avons échoué.

Il faut aussi bien comprendre qu’il n’y a rien à attendre du travail parlementaire… Je me rappelle mes larmes de reconnaissance en entendant la députée Isabelle Attard défendre avec passion et justesse le système qui sera détruit demain… Et je me rappelle le mépris et l’incompréhension de ceux à qui elle s'adressait, ceux qui décidaient.

Les seules choses qu’on n'ait pas encore tentées, c’est la mobilisation des parents et l’interpellation directe. Alors voilà, si tu veux essayer d’arrêter ça, je ne vois plus qu’un moyen : interpelle le président de l’Université la plus proche. Interpelle ton député aussi, et ton maire. Demande leur si ce que je raconte est vrai. Dis-leur que tu n’es pas d’accord. Que tu ne laisseras pas passer. Que l’éducation est quelque chose de trop important pour qu’on la laisse se fracasser contre des intérêts particuliers. Demande leur ce qu’ils comptent faire, et ce qu’ils ont fait pour éviter ça, concrètement. Dis-leur que ce n’est pas assez. Et tiens-toi au courant des prochaines manifestations pour l’éducation ou les services publics. Pose un jour de grève et va marcher. Ce sera moins cher que ce que tu t’apprêtes à payer.

Et si ça ne fonctionne pas, que même si on se mobilisent, ils ne reculent pas… Alors il faudra envisager d’être plus durs encore… C’est trop important.
 

Voilà, j’en ai fini. J’y ai passé ma journée, mais de toute façon il faisait gris.

J’espère vraiment qu’on va s’en sortir, que ça va aller. Mais pour l’instant, tout indique le contraire. Agathe et Mathilde méritent tellement mieux que le monde qu’on est en train de leur préparer…

Je crois qu’aujourd’hui est un jour spécial, parce c’est aujourd’hui que nous arrivons au pied du mur. Et c’est aujourd’hui qu’il nous faut décider de ne plus rien laisser passer.

Et je sais que nous pouvons le faire.

 

Avec toute mon affection,

Julien

L’auteur de cette lettre est secrétaire-adjoint du SNESUP-FSU de l’Université de Strasbourg et membre du CA de cet établissement.