INTERVENTION DU SNESUP-FSU AU CNESER DU 13 NOVEMBRE 2017

Publié le : 13/11/2017

 

 

 

 

Ce projet de loi est une bonne illustration de la stratégie du choc théorisée par Naomi Klein : la communication gouvernementale n’a cessé de stigmatiser un échec insupportable en licence et un recours inacceptable au tirage au sort pour mieux sidérer nos concitoyen.ne.s et imposer une politique libérale basée sur la sélection et le sous-investissement de l’ESR. Car comme le disait déjà Noam Chomsky : pour détruire un service public, il faut commencer par le sous-financer afin que son service se dégrade et que les citoyen.ne.s s’en détournent, c’est la principale cause du recours au tirage au sort. Mais plutôt que de décider d’investir à la hauteur des besoins, ce projet de loi organise la généralisation de la sélection afin de fermer la porte de l’ES aux générations 2000 et suivantes, du moins aux bachelier.ère.s génér.aux.ales qui n’auront pas brillé au lycée ou celles et ceux issu.e.s des classes populaires majoritaires dans les bacs technologiques et professionnels.

 

Si le 1er alinéa du 1er article ne serait pas modifié, le 3ème alinéa qui interdit le recours à la sélection serait lui bel et bien supprimé !

 

Le projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiant.e.s modifie l’article L.612-3 pour permettre la mise en œuvre de la réforme de l’accès en premier cycle, de légaliser la procédure nationale de préinscription (APB nouvelle version), de généraliser les capacités d’accueil pour les formations de 1er cycle et par là même la possibilité de sélectionner les bachelier.ère.s ou de leur subordonner l’accès à une formation à l’inscription à un parcours spécifique ou à un dispositif d’accompagnement pédagogique.

 

Pour les formations d’ores et déjà sélectives, rien ne change. Elles pourront toujours sélectionner les bachelier.ère.s et pour les STS et les IUT, les rectorats continueront à fixer un pourcentage minimal de bachelier.ère.s professionnel.le.s et de bachelier.ère.s technologiques ainsi que des « critères appropriés de vérification de leurs aptitudes ». Ils auront juste à répondre à 3,5 millions de vœux du nouveau dispositif APB bis.

 

Pour les formations en tension, c’est-à-dire pour toutes celles dont le nombre de vœux dépassera les capacités d’accueil, elles pourront sélectionner les bachelier.ère.s qu’elles souhaiteront inscrire après « vérification de la cohérence entre d’une part, le projet de formation du candidat, les acquis de sa formation initiale ou ses compétences et, d’autre part, les caractéristiques de la formation ». Ainsi toutes les formations de premier cycle, dont les capacités d’accueil seront inférieures aux demandes seront autorisées à sélectionner. Aucune restriction disciplinaire n’est évoquée, aucun dispositif de croissance de ces capacités n’est envisagé et compte tenu de la croissance du nombre d’étudiant.e.s au cours des dix prochaines années, ce projet de loi ouvre la boîte de pandore de la sélection potentiellement généralisable à toutes les licences ! S’en serait fini de la possibilité de réorientation, de rebond ou d’accès pour les lycéen.ne.s qui auraient été orienté.e précocement dans un bac non conforme à leur ambition ou qui n’auraient pas brillé au cours de leurs études secondaires ! Le pacte social d’accès de droit pour tou.te.s bachelier.ère.s à la licence de son choix serait remplacé par une sélection qui accentuerait la hiérarchie des filières de baccalauréat et reproduirait les inégalités socioculturelles de l’enseignement secondaire comme c’est déjà le cas dans les filières sélectives de l’enseignement supérieur.

 

Enfin, pour toutes les formations, l’inscription d’un.e bachelier.ère pourrait être « subordonnée à l’acceptation, par le candidat, du bénéfice des dispositifs d'accompagnement pédagogique ou du parcours de formation personnalisé proposés par l’établissement pour favoriser sa réussite. » Ces dispositifs étaient déjà prévus dans le septième alinéa de ce 1er article de la loi de 2013. Le projet de loi 2017 prévoit de les présenter dès le 1er alinéa. Cela pour dire que depuis 2013, de nombreux dispositifs ont été proposés par les établissements pour mieux accompagner la réussite des bachelier.ère.s dans leur diversité. Mais faute de financements pérennes, ils ont pour la plupart été abandonnés. Le projet de loi de finances 2018-2020, ne prévoit que 100 M€ par an pour accueillir 40 000 nouv.eaux.elles étudiant.e.s, ouvrir de nouvelles places et mettre en œuvre ces dispositifs pédagogiques. Seuls 17 candidats au PIA3 pourront compter sur les 150 M€ des "nouveaux cursus universitaires (CNU)" au cours des 10 prochaines années (soit 15 M€/an). Ce mode de financement par AAPC renforce les inégalités dans les établissements et les mets en concurrence.

 

La LFI a voté vendredi dernier +15,48 M€ supplémentaires pour soi-disant créer 446 emplois (à 35 000 € l’emploi car si c’est à 60 000 € cela fait 258 emplois) mais avec un coût complet de 10 000 € d’investissement nécessaire par étudiant.e à l’université cela permettrait juste de financer la création de 1548 places. C’est bien, mais le coût de la sélection pour étudier 7 millions de vœux et argumenter une réponse représente plus de 500 ETP, soit le double ! Donc oui, nous pourrons augmenter le taux d’encadrement et créer des places si nous abandonnons ce projet fou de sélectionner en licence !

 

Comment les licences pourront-elles mettre en place ces dispositifs « personnalisés » dès la rentrée 2018 et les maintenir dans ces conditions ? Ces dispositifs pourront-ils être systématiquement ouverts quel que soit le nombre d’étudiant.e.s concerné.e.s ? Ces dispositifs se limiteront ils à des MOOC ou des cours en ligne (avec le taux de succès que l’on connaît avec ces outils) ? Quand ils ne seront pas ouverts, les étudiant.e.s pourront-ils.elles s’inscrire ou seront-ils.elles refusé.e.s ?

 

Cette réforme, nous le constatons avec ce projet de loi, n’est pas à la hauteur des enjeux de la démocratisation de l’enseignement supérieur. Derrière l’affichage de la volonté du gouvernement d’améliorer la réussite des étudiant.e.s en licence, c’est un changement complet de la politique d’accès des bachelier.ère.s à l’enseignement supérieur qui est organisé. C’est une substitution de l’égalité d’accès par une vision adéquationniste basée sur la sélection et le maintien des lycéen.ne.s des classes populaires majoritaires en baccalauréat technologique et professionnel dans les filières courtes (STS et IUT). C’est le choix d’un investissement limité de l’État dans l’enseignement supérieur au cours des 10 prochaines années alors que 350 000 étudiant.e.s supplémentaires sont attendu.e.s.

 

La FSU défend un autre projet, pour l’accueil et la réussite de tou.te.s les bachelier.ère.s et le SNESUP-FSU portera un avis négatif sur le projet de loi s'il reste en l'état. Les amendements qu'il a déposé visent à garantir un accès gratuit et de droit pour tou.te.s les bachelier.ère.s à l’enseignement supérieur, ainsi que le maintien de la bourse pendant l’année de césure.

 

Contrairement à ce qui est proposé dans le projet de loi, pour le SNESUP-FSU, l’accès à la médecine préventive, à l’accompagnement social et sanitaire, culturel et sportif doit rester à la charge des établissements et ne doit en aucun cas donner lieu à une charge financière pour les étudiant.e.s quel que soit leur niveau d’études. La FSU demande à être consultée sur l'ergonomie et le paramétrage de la nouvelle plateforme. Le SNESUP-FSU et la FSU appellent à un investissement massif et immédiat dans l’enseignement supérieur, pour la création de places non seulement dans les filières en tension mais aussi en STS (au regard des demandes de poursuites d'études des bachelier.ère.s professionnel.le.s), ainsi que 6000 recrutements par an pendant 10 ans pour améliorer le taux d’encadrement des étudiant.e.s, pour la réussite de toutes et tous !

 

C’est un choix de société, c’est à ce prix que nous sortirons par le haut de ce défi de qualification de notre jeunesse.

 

Paris, le 13 novembre 2017