Financement de la recherche publique par appels à projets : analyse et recommandations du CNESER

Publié le 12 juin 2019

Financement de la recherche publique par appels à projets : analyse et recommandations du CNESER

 

Texte proposé par la commission d’étude spécialisée du CNESER « Financement de l’enseignement supérieur et de la recherche publics, hors du budget de la MIRES » à l’ordre du jour de la séance du CNESER du 11 juin 2019.

Résultat du vote du CNESER : 44 pour, 0 contre, 0 abstention.

 

Le financement de la recherche dans les laboratoires publics a été radicalement transformé depuis le début des années 2000. Depuis 15 ans, les mesures incitatives ont été multipliées pour piloter et transformer la recherche publique avec plusieurs systèmes d’appels à projets (AAP) : l’agence nationale de la recherche (ANR) pour sélectionner les activités de recherche de base et les orienter vers les enjeux sociétaux ; le millefeuille des dispositifs d’incitation1 au développement de la recherche partenariale et de l’innovation (Instituts Carnot, pôles de compétitivité, AAP collaboratifs avec des entreprises de l’ANR, CEA-Tech, IRT, SATT, CVT, IEED) ; le programme d’investissement d’avenir (PIA) pour restructurer le paysage de l’ESR et concentrer des ressources importantes sur un nombre réduit d’équipes qualifiées « d’excellentes ». Cette montée en puissance de ces programmes d’AAP a été conduite en maintenant constante la part du budget de la recherche publique, autour de 0,78 %, dans le produit intérieur brut (PIB). Cette augmentation du financement par AAP s’est donc effectuée au détriment de la dotation de base des établissements, qui ne leur permet plus de conduire une politique scientifique propre, élaborée à travers la réflexion de leurs instances scientifiques. Ainsi, le mode de financement du fonctionnement de la recherche dans les laboratoires est actuellement extrê­mement déséquilibré, avec un mode de financement par AAP prépondérant, voire quasi-exclusif, pour la plus grande part des disciplines. Dans certains domaines, seules les activi­tés de recherche qui sont financées par un AAP ont des ressources pour fonctionner alors que les autres sont destinées à disparaître ou à ne jamais être initiées.

Le fonctionnement des laboratoires de la recherche publique est actuellement financé en très grande majorité par le système des AAP. Ce système de financement mobilise, en comparaison avec un système de financement par dotations, un temps de travail supplémentaire (préparation des dossiers, évaluation et sélection, suivi administratif) et engendre donc un coût indirect. De plus, ce système de financement par AAP déstructure l’organisation du travail et, par conséquent, a un impact significatif sur les conditions de travail de tous les personnels de la recherche publique, impact qui pourrait induire un coût supplémentaire « caché ».  

Le CNESER estime que l’efficacité du système de financement par AAP doit être impérativement évaluée. Au préalable, il est nécessaire de clarifier les mécanismes du financement du fonctionnement des laboratoires (hors masse salariale, infrastructure et équipement).

 

1. La structure du financement du fonctionnement des laboratoires

Le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et de l’innovation (MESRI) et les directions des établissements mettent en avant un taux de financement de la recherche par AAP compris entre 15% et 20%, en-dessous de la moyenne par rapport aux autres pays, qui ne justifierait pas un rééquilibrage en faveur des dotations des établissements. Au contraire, les « scientifiques qui sont sur le terrain », et encore actifs en recherche, perçoivent très clairement que le financement de la recherche est extrêmement déséquilibré en faveur du système par AAP. Les directeurs de laboratoire, qui ont une connaissance complète des financements affectés dans leur laboratoire, indiquent spontanément que le fonctionnement de leurs laboratoires est généralement réparti entre 10% de dotations des tutelles et 90% de financement sur AAP2. Des rapports de 1 à 10 ou 1 à 5 peuvent être observés dans de nombreux laboratoires de recherche. Cette différence d’appréciation entre la communauté scientifique et le MESRI est analysée ci-après pour les laboratoires des établissements dépendant des programmes 150 (Formations supérieures et recherche universitaire) et 172 (Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires).

Les laboratoires de recherche des universités et des EPST reçoivent une subvention pour charge de service public de 5 milliards d’euros3 (G€) par les universités (programme 150) et de 4,4 G€ par les EPST (programme 172) qui sont affectés en premier lieu à la masse salariale des personnels titulaires, à l’hébergement des laboratoires et dans une moindre mesure au fonctionnement des laboratoires. Le fonctionnement des laboratoires est également financé par les différents AAP : 0,7 G€ de l’ANR, 0,85 G€ du programme européen H2020 (moyenne annuelle depuis 2014) et 1,1 G€ du programme d’investissement d’avenir (moyenne annuelle de 2011 à 2016), soit 2,65 G€. En considérant que les laboratoires des universités et des EPST perçoivent 70% de ce financement (les chercheurs des universités et des EPST représentent 70% des équivalents temps plein recherche dans la recherche publique4), le financement par AAP de ces laboratoires s’élèverait à 1,85 G€. Les financements qui proviennent ou transitent par les collectivités territoriales (dont FUI, FEDER et CPER) ne sont pas pris en compte car ils concernent essentiellement de l’immobilier et de l’équipement et ils sont souvent liés à l’innovation. Ce chiffre de 1,85 G€ de financement par AAP est donc certainement sous-évalué avec la prise en compte des seules sources de financement de l’ANR, du PIA et du programme H2020 : néanmoins son ordre de grandeur doit être en accord avec la situation effective des laboratoires et peut donc permettre d’étudier, même prudemment, la structure du financement des laboratoires entre dotations récurrentes et AAP. Avec cette première estimation, les 9,4 G€ de dotations des tutelles représentent 83,6% du financement des laboratoires et les 1,85 G€ provenant des AAP représentent 16,4%. Cet ordre de grandeur de 15% - 20% de financement par AAP correspond aux chiffres mis en avant par le ministère et la majorité des présidents d’établissements pour justifier du caractère équilibré et approprié du système de financement, notamment en comparaison avec les pays étrangers.

Cependant, l’essentiel des dotations des tutelles est affecté à la masse salariale et à l’hébergement des laboratoires (graphique 1). Les dotations pour fonctionnement des tutelles peuvent être estimées à partir de celles du CNRS et de l’INSERM pour les EPST (219 millions d’€ pour 16 913 chercheurs et ingénieurs de recherche de toutes les disciplines scientifiques) et d’un échantillon de 17 universités5 (65 millions d’€ pour 19 210 enseignants-chercheurs). L’extrapolation à l’ensemble des chercheurs et ingénieurs de recherche des 8 EPST6 et à l’ensemble des enseignants-chercheurs7 conduit à une estimation de 283 millions d’€ de dotations des EPST et 193 millions d’€ pour les universités, c’est-à-dire un total d’environ 500 millions d’€. Cela signifie que les dotations de fonctionnement des tutelles représenteraient environ 21% (0,5 G€) du financement total en fonctionnement contre 79% (1,85 G€) pour les AAP. Cette moyenne cache des disparités importantes, certaines structures ne pouvant pas fonctionner et assurer l’ensemble de leurs missions sur cette dotation.

Cette proportion de 79% de financement du fonctionnement des laboratoires par les AAP est certainement sous-évaluée : d’une part, une partie des 21% de financement par dotations est utilisée par les tutelles et les laboratoires pour organiser leur propres AAP ; d’autre part, cette estimation ne prend en compte que les AAP de l’ANR, du programme européen H2020 et du PIA. Par ailleurs, outre les financements par AAP et dotations, une part du financement de la recherche provient de contrats directs avec des bailleurs publics ou privés (industries et services, de toutes tailles depuis la PME au grand groupe ; opérateurs publics tels que l’Ademe, l’AFB, les collectivités territoriales, …) ou des fondations. Cette part est beaucoup plus difficile à quantifier précisément mais ne bouleverse pas les moyennes globales, elle est écartée de cette analyse.

Enfin, l’aspect le plus déterminant est certainement la mobilisation de la masse salariale des établissements par le système d’AAP. En effet, mis à part l’ERC, la plupart des systèmes d’AAP ne financent que des personnels contractuels. Ainsi, les projets financés par AAP mobilisent la masse salariale des enseignants-chercheurs et des chercheurs impliqués, c’est-à-dire une partie importante des 9,4 M€ apportés par les universités et les EPST. En supposant que la structure du budget du CNRS6 est représentative, on obtient ainsi que deux tiers (67%) des personnels de recherche dans les laboratoires travaillent sur des projets financés par des AAP8 (graphique 1). En d’autres mots, l’effet de levier des AAP sur la masse salariale se concrétise par au minimum deux tiers de la recherche publique qui est pilotée par le système d’AAP.

Cette estimation, très prudente pour toutes les raisons invoquées ci-dessus, indique qu’au maximum un tiers de la recherche des laboratoires est exercée de façon indépendante des AAP. Cette très faible proportion de recherche indépendante des AAP est très éloignée des 80% de financement par dotations mis en avant par le MESRI et les directions d’établissement. Ceci explique que les personnels des établissements de la recherche publique, qui vivent cette situation au quotidien dans les laboratoires, aspirent à rétablir un équilibre entre financement par dotation et financement par AAP du fonctionnement des laboratoire : à l’occasion de la consultation citoyenne organisée par la Commission d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée nationale, la communauté scientifique a exprimé à une très large majorité9 de 75% « qu’il faut accorder une priorité au financement récurrent » contre seulement 2% « qu’il faut accorder une priorité au financement sur projet ». 

Les sources de financement des établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) sont différentes de celles des autres établissements de la recherche publique en raison de leur mission d’interface avec le monde économique. La subvention pour charge de service public assure aujourd’hui moins de la moitié du budget total annuel des EPICs, le reste devant provenir de financements sur AAP ou de contrats de recherche avec des collectivités ou des entreprises. Depuis plus d’une quinzaine d’années, les recettes externes se substituent aux subventions d’Etat. D’après les rapports d’activités 2017 de ces organismes, la dotation d’Etat pour le BRGM, le CEA civil et le CIRAD (3 des 5 EPICs représentés au CNESER) qui s’élève à 1.17 G€, ne représente en moyenne que 45% de leur budget et ne couvre que 87% de leur masse salariale. Ce faible taux de dotation est insuffisant pour maintenir à long terme une recherche et une innovation de qualité, indépendantes et publiques.

 

2. Les coûts indirects du système de financement de la recherche par AAP

Un système de financement quasi-exclusif par AAP, même avec un taux de succès amélioré, mobilise, en pure perte, un temps de travail considérable de préparation des dossiers, d’évaluation et de sélection des dossiers et de suivi administratif des projets sélectionnés. A titre d’exemple, l’Agence nationale de la recherche10 (ANR) a reçu 9260 propositions de projets en 2017 pour en financer 1380, soit un taux de succès de 14,9% en moyenne (et la proportion est encore plus faible pour l’appel à projet générique qui a reçu 7990 propositions pour 1063 projets financés, soit 13,3% de taux de succès). Cela signifie que pour la seule ANR, ce sont près de 8000 demandes de projets qui ont été élaborées et n’ont pas été financées.

La CES du CNESER s’est interrogée sur le temps de travail et sur le coût que pourrait représenter la préparation des dossiers, leur évaluation et leur sélection, et leur suivi administratif.

La CES du CNESER a invité M. François Chambelin, directeur financier de l’Inserm, à la séance du 14 mai 2018, afin qu’il présente l’étude de l’Inserm « Evaluation du coût de préparation des projets de recherche soumis aux appels à projets ». Cette étude qualitative indique que la réponse à un appel à projets « classique » de l’ANR mobilise entre 15 et 30 jours de temps complet du chercheur porteur du projet. Le cas d’un projet « investissement d’avenir » retenu en biologie et santé a mobilisé 540 jours de préparation. Cette étude effectuée par l’Inserm, bien que très préliminaire (un seul cas de projet d’envergure étudié), constitue actuellement une « référence » dans l’étude des coûts indirects du système des AAP, comme le montre le rapport11 du sénateur Michel Berson qui s’appuie sur cette étude. Cette étude reste cependant insuffisante pour estimer le temps mobilisé à la réponse aux AAP.

L’enquête12 « Contribution à l’analyse des conditions d’intégration des jeunes chercheurs dans les laboratoires rattachés à l’INSIS », à laquelle ont répondu 70% des chargés de recherche et 50% des maîtres de conférence (MCF) concernés, indique que les jeunes chercheurs consacrent en moyenne entre 15% et 20% de leur temps à la réponse aux AAP, c’est-à-dire entre 30 et 40 jours par an. En extrapolant ce temps de 15-20% à l’ensemble des chercheurs et des enseignants-chercheurs, cela signifie que la masse salariale mobilisée pour répondre aux appels à projets serait supérieure à 1 milliard d’euros !

Aucune donnée ne permet actuellement de quantifier les ressources techniques mobilisées pour la préparation des dossiers, ni les moyens institutionnels d’aide au montage et de validation avant dépôt des demandes de projets.

La CES du CNESER n’a pu obtenir aucune donnée officielle permettant d’estimer l’ensemble du temps consacré à l’évaluation et à la sélection des réponses aux AAP. Ces processus d’évaluation et de sélection des projets puis les travaux mobilisent l’expertise et un temps non négligeable des chercheurs, sans compter les situations de conflit d’intérêt dans des thématiques où il y a peu d’équipes qui ont régulièrement des interactions.

Le coût du suivi administratif et financier des projets sélectionnés peut être estimé à partir des frais de gestion retenus par les tutelles et les laboratoires. Les projets financés par l’ANR sont accompagnés de 8% de frais de gestion (4% pour la tutelles gestionnaire et 4% pour la gestion au sein du laboratoire), mais ces montants sont généralement considérés comme insuffisants. Dans la situation où les tutelles peuvent fixer les frais de gestion librement (par exemple les projets européens), le taux de prélèvement se situe entre 12% et 16%. Avec un volume de financement par AAP de 2 G€ pour les laboratoires, les coûts de gestion pourraient représenter entre 200 et 300 millions d’euros par an. Ces coûts de gestions doivent être complétés par le coût du fonctionnement des agences de financement comme l’ANR.

Le CNESER estime que les données sur les coûts indirects du système de financement par AAP sont très insuffisantes au regard du temps de travail mobilisé et du coût potentiellement très importants. Cependant, il est probable que les coûts indirects du système de financement de la recherche par AAP pourraient s’élever à au moins 1,5 G€, c’est-à-dire un montant comparable aux 1,85 G€ déterminés dans la section précédente.

 

3. Les coûts « cachés » du système de financement de la recherche par AAP

Le déséqui­libre actuel en faveur du financement par AAP impose aux laboratoires de recherche des systèmes complexes de prélèvements sur ressources propres afin de pouvoir financer la recherche de base. Dans certaines situations, même des charges structurelles (immobilier, fluides…) sont ainsi financées. La complexité de cette gestion induit des frais supplémentaires. Ce déséquilibre contribue également à la forte augmentation, depuis plus de 10 ans, des emplois sur contrats à durée déterminée (CDD). Ils représentent 24% des effectifs des principaux organismes de recherche, bien au-dessus des ratios habituels de la fonction publique d’État, alors qu’ils correspondent souvent à des besoins permanents. Ce taux très élevé d’emplois en CDD engendre une rotation de personnels importante, des pertes de compétences, de multiples répétitions de formations de ces personnels renouvelés en CDD et la dégradation des conditions de travail. De plus, la multiplication des contrats engendre une disparité des situations professionnelles et des rémunérations qui nuisent au bon fonctionnement des collectifs de travail.

Même avec un taux de succès amélioré, le système de financement par AAP exclut une part significative de la communauté scientifique qui se retrouve sans moyens de fonctionner. L’enquête12 « Contribution à l’analyse des conditions d’intégration des jeunes chercheurs dans les laboratoires rattachés à l’INSIS », à laquelle ont répondu 70% des chargés de recherche et 50% des MCF concernés, indique que plus de 50% des jeunes chercheurs et enseignants-chercheurs recrutés depuis 10 ans en ingénierie estiment ne pas avoir disposé des moyens et du temps nécessaire pour mettre en œuvre leur projet de recherche initial, sur lequel ils ont été recrutés. En extrapolant ces chiffres à toutes les disciplines, ce sont plus de 10 000 des 20 000 jeunes chercheurs et enseignants-chercheurs recrutés depuis 10 ans qui n’ont pas les moyens de travailler. Le CNESER estime que c’est un immense gâchis qui ne permet pas à la recherche publique de développer tout son potentiel.

De plus, ce système d’exclusion répand la frustration et le découragement chez les personnels de l’ESRI qui ne sont pas sélectionnés. En particulier, l’enquête12 du conseil scientifique de l’INSIS, révèle que 38 % des MCF et 24 % des CR se disent « insatisfaits » quand ils répondent à la question la question « Comment décririez-vous le bien-être dans votre environnement de travail ? » ; ce chiffre dépasse même les 46 % chez les MCF femmes ! Même si les raisons de ce mal-être sont sans aucun doute multiples, ces taux d’insatisfaction sont très alarmants dans une population de jeunes recrutés qui ont souvent mené un véritable « parcours du combattant » excessivement long, difficile et risqué pour accéder à ces postes.

Le CNESER estime que l’organisation de la recherche et son financement quasi-exclusif par AAP engendrent des coûts « cachés » en raison de l’effet qu’ils ont sur les conditions de travail : « turnover » des personnels, manque de moyens de travailler pour de très nombreux personnels, mal-être au travail. Plus grave, au-delà du coût financier que cela représente, le CNESER estime que le coût social de ce système est particulièrement alarmant et que le prix en terme de désaffection et en manque d’attractivité de la recherche pourrait être également important.

Le système de financement par AAP peut également induire des transformations du système de recherche, par exemple en favorisant la sous-traitance (fabrication mécanique, logiciels…) plutôt qu’en maintenant ou développant les compétences en interne. Ce système engendre des pertes de personnels, de fonctionnement des collectifs et de compétences qui affaiblissent la recherche publique et coûtent cher à restaurer.

 

4. Recommandations du CNESER

Pour que la France puisse tenir ses engagements en R&D, le CNESER estime que l’effort budgétaire devrait être programmé sur 10 ans avec un milliard d’euros supplémentaire par an dans les organismes de recherche (EPST) et la recherche universitaire pour le porter à 1% du PIB dans 10 ans.

 

4.1 Identifier le budget recherche des établissements du programme 150

Le CNESER demande que le budget recherche de tous les établissements du programme 150, notamment les universités, soit clairement identifié et accessible. En particulier, la masse salariale affectée aux missions de recherche, les investissements en équipement et infrastructure de recherche, la maintenance de l’immobilier de recherche, les fluides alimentant les laboratoires, les dotations aux laboratoires et les financement AAP projets internes aux établissements doivent être identifiés.

 

4.2 Evaluer et limiter les coûts indirects et cachés du système d’AAP 

Le CNESER estime que les résultats de l’enquête12 du conseil scientifique de l’INSIS sont alarmants : les jeunes chercheurs consacreraient en moyenne entre 15% et 20% de leur temps à la réponse aux AAP ; 38 % des MCF et 24 % des CR seraient « insatisfaits » dans leur environnement de travail ; plus de 50% des jeunes chercheurs et enseignants-chercheurs recrutés depuis 10 ans estimeraient ne pas disposer des moyens ni du temps nécessaire pour mettre en œuvre leur projet de recherche initial, sur lequel ils ont été recrutés.

 

Le CNESER recommande que soit menée une étude dans tous les établissements pour évaluer les coûts indirects et cachés des systèmes de financement par appel à projet. Cette étude doit notamment permettre d’estimer :

  • le temps de travail nécessaire à la préparation des dossiers
  • le temps de travail nécessaire à l’évaluation et à la sélection des dossiers
  • le temps de travail nécessaire au suivi administratif des dossiers
  • les proportions d’enseignants-chercheurs, de chercheurs, d’ingénieurs et de techniciens qui n’ont pas les moyens de travailler

Cette étude scientifique doit pouvoir notamment s’appuyer sur une enquête auprès des personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche.

 

Plus généralement, le CNESER recommande que soit menée une étude pour estimer le financement effectif de la recherche. Cette estimation du financement de la recherche permettrait, comparée au budget initial de la recherche, d’évaluer les coûts indirects et cachés du système de recherche.

 

4.3 Des dotations des établissements de l’ESR et des laboratoires suffisantes pour financer la totalité de leurs programmes de recherche

Le CNESER demande que les établissements de l’ESR soient dotés d’un budget qui leur permette de conduire leur principale mission de recherche publique : mettre en œuvre le progrès des connais­sances. Ce budget des établissements de l’ESR doit être suffisant pour notamment assurer la totalité du financement, par dotations annuelles, des charges structurelles des établissements, des infrastructures de recherche (équipement lourd et mi-lourd, renouvellement) et des programmes de recherche des laboratoires. Le budget de fonctionnement, équipement et investissement des établissements de la recherche publique doit être augmenté, sans réduire les effectifs actuels, pour atteindre 40% de leur dotation de base, contre moins de 20% ac­tuellement (en comparaison, la masse salariale ne représente que 50% des dépenses de R&D déclarées par les entreprises pour bénéficier du crédit d’impôt recherche13). Cette augmentation correspond à un financement supplémentaire d’au moins deux milliards d’euros (G€) pour le fonctionnement des laboratoires et des équipes de recherche. Ces deux G€ sont aussi en rapport avec l’estimation « prudente » du volume de financement par AAP des laboratoires. Ce budget doit notamment permettre de financer, à hauteur de quelques centaines de milliers d’euros, le programme de recherche de tous les jeunes chercheurs et enseignants-chercheurs pour lequel ils ont été recrutés.

Le CNESER partage et soutient cette aspiration des personnels de la recherche publique qui, à l’occasion de la consultation citoyenne organisée par la Commission d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée nationale, ont exprimé à une très large majorité9 de 75% « qu’il faut accorder une priorité au financement récurrent » contre seulement 2% « qu’il faut accorder une priorité au financement sur projet ». 

 

4.4 Un système de financement par AAP uniquement destiné à soutenir le démarrage de thématiques répondant à des besoins affichés du pays

Le système de financement public par AAP ne doit constituer qu’un effort supplémentaire destiné à soutenir le démarrage de thématiques émergentes répondant à des besoins conjoncturels. Ce système doit mettre en place des mesures incitatives en cohérence avec l’intérêt général et les priorités des politiques publiques affichées par ailleurs. Ces priorités des politiques publiques doivent être définies par la représentation nationale, par exemple à travers l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), et être éclairés par les travaux du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et des instances scientifiques des établissements de l’ESRI.

Le CNESER estime que la notion de programme d’AAP dit « blanc » n’a pas d’intérêt en terme de stratégie et de programmation scientifique. Les différents programmes dits « blancs » ont été introduits, dans un contexte de dotations très insuffisantes des établissements et des laboratoires, pour sélectionner les activités de recherche financées et pour organiser la compétition au sein de la communauté scientifique. Le CNESER demande que les dotations des établissements de l’ESR et des laboratoires soient suffisantes pour financer la totalité de leurs programmes de recherche et que les programmes « blancs » soient arrêtés. Le CNESER demande que les recherches de base assurant le progrès des connaissances dans toutes les disciplines soient financées par des dotations suffisantes aux établissements et aux laboratoires de recherche.

 

Références

 

1 Lettre de mission « Innovation et recherche partenariale » de Mme Frédérique Vidal, ministre de l’ESRI, du 19 février 2019.

2 Audition de Mme Brigitte Plateau (séance du 8 mars 2018) et de M. Hervé Dole (séance du 5 avril 2018) par la mission d’évaluation et de contrôle de la commission des finances de l’Assemblée nationale sur l’évaluation du financement public de la recherche dans les universités.

3 Audition de M. Alain Beretz (séance du 8 mars 2018) par la mission d’évaluation et de contrôle de la commission des finances de l’Assemblée nationale sur l’évaluation du financement public de la recherche dans les universités.

4 Note d’information du SIES 18.03 (avril 2018) : Evolution et structure des recrutements en EPST entre 2008 et 2016.

5 Université de Bordeaux, Université Paris-Sud, Université de Strasbourg, Université de Nantes, Université de Rouen, Université d’Aix-Marseille, Université Pierre et Marie Curie, Université Joseph Fourier, Université Pierre-Mendès France, Université de Toulouse 1, Université Paris 8, Université de Franche-Comté, Université de Bourgogne, Université de Savoie Mont Blanc, Université de Lille 1, Université Paris Diderot, Université de Lorraine.

6 16951 chercheurs titulaires et 4860 ingénieurs de recherche dans les 8 EPST : CNRS, INSERM, INRA, INRIA, IRD, IFSTAR, INED et IRSTEA.

7 Les comptes 2017 du CNRS : du budget au bilan, des comptes sociaux aux comptes consolides. https://www.dgdr.cnrs.fr/dcif/chiffres-cles/comptes-2017/accueil.htm

8 La masse salariale sur ressources propres du CNRS7 (NB1 : 260 M€) correspond à 35% des ressources propres du CNRS7 (738 M€), c’est-à-dire environ 40% avec un environnement de fonctionnement. En supposant que ce ratio 40% est représentatif des laboratoires et que les recherches financées par les dotations récurrentes utilisent autant de fonctionnement que les recherches sur AAP, on obtient que la proportion P de masse salariale mobilisée par les AAP vérifie (9,4 x P + 1,85 x 0,4) / [1,85 x (1 – 0,4)] = 9,4 (1 – P) / 0,5 : soit une proportion P = 0,67.

9 Rapport d’information du 25 juillet 2018 en conclusion des travaux de la Mission d’évaluation et de contrôle de la Commission des finances de l’Assemblée nationale sur l’évaluation du financement public de la recherche dans les universités. Réponse à la question page 87.

10 Rapport d’activité de l’Agence nationale de la recherche, année 2017.

11 Rapport d’information sur l’Agence nationale de la recherche (ANR) et le financement de la recherche sur projets, fait au nom de la commission des finances du Senat, 27 juillet 2017, Michel Berson : https://www.senat.fr/espace_presse/actualites/201707/rapport_dinformation_sur_lagence_nationale_de_la_recherche_anr_et_le_financement_de_la_recherche_sur_projets.html

12 Contribution à l’analyse des conditions d’intégration des jeunes chercheurs dans les laboratoires rattachés à l’INSIS. Résul­tats de l’enquête 2017 sur les jeunes chercheurs et enseignants-chercheurs, Conseil scientifique de l’INSIS

13 Le Crédit d’impôt recherche en 2014. Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation :

http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid49931/cir-statistiques-rapports-et-etudes.html