DECLARATION LIMINAIRE du CNESER en commission permanente du 14 mai 2024
Madame la ministre,
Madame la directrice générale,
Mesdames et messieurs
Nous sommes inquiets, très inquiets même, sur de si nombreux points relatifs à l’existence et à l’avenir de l’université en France qu’en faire maintenant la liste ne serait pas possible compte tenu du temps dont nous disposons ce matin. Pour reprendre le sous-titre d’un article récent du journal Le Monde, « ça craque de partout ». Nous nous limiterons donc à trois points.
Le premier a trait aux tentatives répétées d’interdire, par l’autoritarisme voire la force, le débat au sein des universités au mépris de la franchise universitaire, de la liberté d’expression et de la liberté académique qui nous sont chères.
Dans ce contexte délétère vous affirmez, Madame la Ministre, dans un discours adressé le 2 mai à France Université que l’université « est le siège de la neutralité ». Mais le savoir et sa production ne sont pas neutres et ils nécessitent des débats ! Le code de l’éducation précise d’ailleurs que le service public de l’ESR « tend à l'objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l'enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique. » (Article L141-6)
Produire du savoir, le diffuser, est par essence subversif. C’est aller contre les évidences et les croyances personnelles et institutionnelles, contre les conservatismes, cela demande de prendre parti : le parti du savoir, de la façon de le produire, de ce qu’il produit notamment dans la déconstruction des évidences et des croyances. Il est nécessaire de lutter par le débat d’idées pour faire connaître le savoir produit et la façon de le produire comme pour mettre en évidence ce que la connaissance favorise, permet, ou au contraire gêne voire interdit dans nos sociétés. Il ne peut y avoir de sujets tabous.
Pour avoir le calme dans les universités, au lieu d’essayer d’étouffer les avis considérés comme divergents, d’interdire des manifestations pour une paix juste et durable et un cessez-le-feu immédiat et de qualifier d’antisémitisme toute solidarité avec les Palestiniens - ce qui ne marche qu’un temps et a des conséquences funestes -, nous devons y maintenir des lieux de débats pluriels, ouverts, dont aucun sujet n’est exclu, dans le respect de la loi – sans sur-interprétation partisane – en mettant en place les conditions pour que les opinions et les connaissances puissent s’exprimer, se confronter, être mises à l’épreuve des sciences que nous produisons - voire les enrichir en produisant par exemple des questions vives auxquelles nous ne pouvons pas encore apporter de réponses ou des conditions que nous n’avons pas encore prises en compte. « Il faut oser tout examiner, tout discuter, tout enseigner même » (Condorcet, Mémoires sur l’instruction publique). Cela est essentiel dans la perspective de former des citoyens éclairés, aptes à prendre des décisions scientifiquement fondées et à se déprendre des bulles créées notamment par les réseaux sociaux et nombre de médias. Les arrestations et gardes à vue abusives de ces dernières semaines sont inacceptables.
Le deuxième point d’inquiétude est relatif à « l’acte II de l’autonomie ». Les alertes et lignes rouges que nous explicitons depuis plusieurs semaines se trouvent avérées par ce qui commence à nous parvenir des universités. Ainsi par exemple le président de l’université de Pau et des pays de l'Adour a-t-il identifié cinq points sur lesquels faire porter l’expérimentation : « fixer nous-mêmes nos capacités d'accueil (sans lien avec le Rectorat) ; créer des formations au fil de l'eau (sans lien avec le Ministère) ; desserrer les contraintes d'utilisation du fonds de roulement ; abandonner la référence au volume de 192 heures du service d’enseignement des EC ; attribuer des promotions locales aux enseignants du second degré ». Il s’agit d’attaquer, de déréguler et de mettre en pièces le service public de l’ESR sans aucune préoccupation de l’amélioration de ses missions, de la réussite des étudiants, des conditions de travail des personnels et de leurs statuts. Nous réitérons notre opposition profonde au localisme, à la concurrence et à l’abandon complet du contrat social et moral qui lie l’ESR public à la société. Le service public à besoin d’une fonction publique renforcée, pas de ces dérégulations qui génèrent inégalités, clientélisme et précarité dans le seul but d’organiser le désengagement de l’Etat.
Le troisième point est, à nouveau, la « réforme » de la formation des enseignant.es. A quelques semaines des vacances universitaires, rien n’est acté, chaque semaine apporte son lot de communications « grises » - échanges téléphoniques, messages, documents non officiels, etc. - et les informations émanant du MEN sont pour partie contradictoires avec celles obtenues du MESR. Nous attendons toujours une multilatérale au MESR et des éléments clairs sur lesquels argumenter et négocier. Le MEN organise un cycle de GT cette semaine sans que l’ESR n’ait toujours rien prévu. Le courrier, signé par toutes les organisations syndicales de l’ESR, envoyé il y a une semaine n’a toujours pas reçu de réponse. Est-ce une manière de mener le dialogue social ?
La mobilisation “INSPÉ morts” du lundi 6 mai 2024 à l’appel de l’intersyndicale de l’ESR a mis en lumière partout les mêmes interrogations et les mêmes inquiétudes, partout la même colère et les nombreux éléments problématiques soulevés sont toujours sans réponse. Citons les principaux :
Quelles possibilités de reconversion et de passerelles pour les futures licences ? Quels parcours possibles en cas d’échec aux concours ou pour les étudiant.es en reconversion professionnelle ? Quel maillage territorial dans l’accès aux futures licences pluridisciplinaires préparant aux concours de professeur des écoles (LPPE) ? Quels moyens pour l’ouverture de modules de préparation aux concours ? Quelle répartition des postes aux concours en fin de M2 et en fin de L3 pour les deux ans à venir ? Quel avenir pour les INSPE et leurs personnels ?
Plus généralement ce qui se profile met en grand danger le contenu de la formation qui est, répétons-le encore une fois, l’élément indispensable à mettre au cœur des réflexions :
Quel adossement à la recherche ? Quelle place pour la didactique dans les contenus de licence ? Quelle stabilité avec des personnels du MEN « choisis » renouvelés tous les trois ans ? La non réponse à ces questions fondamentales, et à beaucoup d’autres que nous ne cessons de poser, relève de la maltraitance institutionnelle et d’un mépris pour les personnels rarement égalés.
Les conditions ne sont absolument pas réunies pour préparer la rentrée ! Outre le calendrier, matériellement intenable, la défiance à l’égard des personnels, par leur mise à l’écart de toute concertation, est rédhibitoire. Nous réitérons solennellement nos demandes :
• de report de la réforme de la FDE, inapplicable dans le calendrier actuel ;
• de véritables concertations et négociations dans le respect des personnels et des étudiant·es, avec leurs organisations représentatives ;
• d’une programmation massive de moyens matériels et humains pour l’éducation.