CT-MESR du 25 juin 2020 - déclaration liminaire de la FSU

Publié le : 25/06/2020
 
 
 

La FSU s’est déjà largement exprimée sur le projet de LPPR tel qu’il se dessine. Précarisation, remise en cause de la fonction publique, portes ouvertes au secteur privé, renforcement du financement inégalitaire, généralisation du rôle de l’HCERES, revalorisation indemnitaire et non indiciaire, etc. La liste est longue et ces mesures vont dans le même sens : détruire le service public de l’ESR. Un seul élément manque à l’appel, et pas des moindres : le budget nécessaire au sauvetage de la recherche française. Dans son allocution radiotélévisée du dimanche 14 juin, le Président de la République n’a évoqué l’université que pour demander davantage de liberté et de responsabilité pour les établissements. Il n’a fait que reprendre les arguments ayant conduit à la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) qui a dégradé notre système universitaire. La LPPR est l’instrument qui devrait permettre d’achever la LRU : un ESR reposant sur la concurrence, la performance, la rentabilité à court terme. Il n’a eu aucun mot par contre sur la réouverture des universités aux usagers alors que l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire ont rouvert leurs portes, ni sur la rentrée universitaire 2020 qui s’organise pourtant aujourd’hui, etc. Force est de constater que les priorités du gouvernement ne sont pas celles des collègues qui tentent tant bien que mal de boucler l’année universitaire tout en préparant celle qui arrive, sans même savoir dans quelles conditions ni avec quels moyens ils/elles pourront la mettre en œuvre.

Mis en sommeil durant le confinement, le projet que le ministère nous demande d’adouber en urgence aujourd’hui vient de ressortir des cartons pour un traitement express par les différentes instances. Après un CNESER, qui s’est réuni dans des conditions lamentables siégeant plus de 20h jeudi dernier à vendredi 6h du matin, permettant à la ministre de l’ESRI un passage en force, puis le CSFPE, le CTMESR doit à son tour donner un avis uniquement sur quelques articles alors que une grande part du texte impacte les agents. La FSU ne peut que dénoncer à nouveau le manque de respect des collègues élu·es par la communauté pour les représenter. Comment travailler sereinement à des amendements sérieux à ce projet dans le temps imparti et sans le temps nécessaire au débat collectif.

Le service public de l’ESR mérite mieux qu’un nouvel avatar de la “stratégie du choc” : investir dans la recherche et l’enseignement supérieur devrait être une priorité, faire confiance aux personnels devrait en être une autre. Ces deux priorités sont cruellement absentes de ce projet de loi. 

- Précarisation et destruction des statuts : Ce projet de LPPR prévoit sur 10 ans le recrutement de 15 000 contractuel·les supplémentaires dans la recherche publique contre seulement 5200 titulaires. La forte proportion de personnels en contrat à durée déterminée dans l’ESR, y compris sur des fonctions pérennes est inefficace et c’est un drame social. La FSU refuse donc d’aggraver cette catastrophe. Elle s’oppose vigoureusement aux nouvelles voies de recrutement « tenure track » et « CDI de mission » qui seront des outils de cette précarisation et de la destruction du statut de la fonction publique.

- Budget insuffisant : Le projet de LPPR fixe une trajectoire budgétaire pour la recherche avec une progression annuelle moyenne de 500 millions d’euros jusqu’en 2030. Cette programmation budgétaire est très insuffisante. Elle consiste à poursuivre la politique budgétaire menée depuis 2000 qui aboutit au décrochage de la recherche en France avec la stagnation relative du budget de la recherche entre 0,75 % et 0,80 % du produit intérieur brut (PIB). Le président de la République a vanté que le projet de LPPR réaffirme l’ambition de consacrer 3 % du PIB à la recherche en France ; cependant la trajectoire budgétaire de l’article 2 passe à la trappe cet engagement. Et la recherche française va malheureusement continuer son déclin pour très longtemps !

- Rémunération : Le projet de LPPR prévoit une enveloppe de 92 millions d’euros en 2021 pour « revaloriser » les rémunérations des personnels de l’ESR et un montant équivalent les années suivantes. Cette revalorisation ne constitue en rien un « rattrapage » puisqu’elle correspond juste à la progression moyenne anticipée des salaires à l’échelle nationale les prochaines années. Elle n’apporte de réponse ni au déclassement des rémunérations ni au manque d’attractivité des métiers dans l’ESR. À titre d’exemple, la rémunération moyenne des chercheur·es est inférieure de 2900 euros brut par mois à celle des catégories équivalentes de la fonction publique : avec le projet de loi, l’encart augmenterait encore pour s’établir à plus de 3000 euros brut par mois en 2027.

- ANR : Le projet de LPPR prévoit le financement des laboratoires de recherche et des établissements principalement par le renforcement de l’ANR (avec 1 milliard d’euros supplémentaire d’ici 2027). Pourquoi ce choix des appels à projets alors que les personnels de l’ESR demandent unanimement de financer la recherche en priorité par des dotations de base ? Une réponse est certainement que ce mode de financement de la recherche, c’est à dire par le truchement des « ressources propres », permet au ministère de rendre impossible le recrutement de titulaires. Le financement par appels à projets est aussi un moyen très efficace de limiter la liberté de recherche.

- Relation entre recherche publique et recherche privée : Le projet de LPPR instaure une confusion préjudiciable entre d’une part le service public et d’autre part les établissements privés et fondations qui n’ont pas du tout les mêmes obligations ni l’intérêt général comme objectif. Il favorise une relation qui n’est plus partenariale en déséquilibrant les relations entre les secteurs public et privé. En avantageant la recherche privée au dépend des activités de la recherche publique sans aucune contrepartie, ce projet de loi n'encourage pas l'augmentation de la part de dépense privée et éloigne l'effort de recherche privée de l'objectif 2 % du PIB. Une fois de plus le CIR (crédit impôt recherche), dépense fiscale du programme 172 qui a montré son absence d'efficacité, ne fait l’objet d'aucune condition, notamment d’aucune obligation d'augmentation d’investissement privé ou d'embauche de docteurs. La FSU dénonce une fois de plus le CIR qui n’est qu’une niche fiscale au profit des intérêts privés.

- Nouveau recul de la démocratie universitaire : Le projet de LPPR ratifie l’ordonnance de décembre 2018 sur les établissements expérimentaux et ouvre de nombreuses “simplifications” statutaires qui prolongent la dérégulation, réduisent la démocratie dans les établissements et débouchent sur la réduction des droits des personnels.

En conclusion : abandon de l’engagement des 1% du PIB, encore plus de contrats à durée déterminée dans l’ESR, attaque du statut de la fonction publique, renforcement des appels à projets, atteinte à la liberté de recherche, abandon de l’engagement de rattrapage des rémunérations. Ce projet de loi est très grave car il fixe ce cadre pour 10 ans. Et cela est d’autant plus dramatique que la crise sanitaire, qui a montré l’importance de la recherche et du progrès des connaissances dans toutes les disciplines, n’a absolument rien changé aux intentions du gouvernement. Aucun collectif budgétaire pour la recherche et l'enseignement supérieur pour 2020 alors que plus de 250 milliards d’euro sont distribués dans différents secteurs d’activité pour les soutenir face à la crise économique et sociale provoquée par la pandémie de Covid-19.

La FSU réitère sa demande d’une programmation budgétaire permettant au minimum d’atteindre 1 % du PIB (calculé avant la crise sanitaire) - c’est-à-dire une augmentation de 6 milliards d’€ – pour la recherche publique dès 2022 puis de maintenir a minima cet effort de 1 % jusqu’en 2030. Ce financement doit permettre de redimensionner la recherche publique à la hauteur des enjeux avec :

  • un plan pluriannuel de création de 60 000 postes de titulaires dans l’ESR d’ici 2030 et de 7000 contrats doctoraux pour atteindre 20 000 docteur·es par an d’ici 2027 ;

  • des dotations de recherche des établissements augmentées de 2 milliards d’€ dès 2022 ;

  • un rattrapage rapide des rémunérations de tous les personnels de l’ESR au niveau de celles des fonctionnaires appartenant aux corps comparables de la fonction publique de l’État.