“Acte II de l’autonomie des universités” :  la fin du service public de l’ESR ? - Lettre flash 91 du 23 avril 2024

Publié le 23 avril 2024

 

Le 26 mars dernier, la ministre S. Retailleau a présenté le projet d’acte II de l’autonomie devant des journalistes, des recteurs et rectrices, et des président·es d’université réuni·es par l’agence de presse “AEF info” [voir discours ICI] . Alors que le CNESER, dont elle assure pourtant la présidence, siégeait le matin même et qu’une réunion avec toutes les organisations syndicales était d’ores et déjà prévue le 9 avril 2024, la ministre a fait sciemment le choix de privilégier cet aréopage. Un choix qui en dit long sur la conception du dialogue social au ministère…

 

La feuille de route présentée par la ministre

 

Dans ce discours, la ministre a présenté les axes de sa feuille de route concernant la transformation de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR). Ils consistent à : 

 

  • transformer les organismes nationaux de recherche (ONR) en agences de programme fortement ancrées internationalement et les universités en “cheffes de file de l’ESR sur leurs territoires, coordinatrices de la recherche et de l’innovation à l’échelle de leur territoire, en lien fort avec les besoins de formation” ;

     

  • positionner et organiser les services centraux du ministère pour qu’il fixe des objectifs, pilote, évalue mais “ne regarde pas tout” (sic) ;

     

  • “simplifier” l’organisation administrative de l’ESR pour faciliter le “quotidien de nos chercheurs, enseignants-chercheurs et personnels d’appui” ;

     

  • donner plus de marge de manœuvre à nos universités, leur faire davantage confiance, tout en les responsabilisant, et en les engageant sur des objectifs concrets, portés en particulier par les Contrats d’Objectifs, de Moyens et de Performance (COMP) qui préfigurent le nouveau contrat quinquennal qui sera déployé à partir de 2025.” 

 

L’acte II de l’autonomie des universités est ainsi lancé ! 

 

« Faire d’avantage confiance » aux universités

 

Si pour la ministre, cela consiste principalement à “faire davantage confiance” aux universités afin qu’elles soient plus “attractives”, le SNESUP-FSU comprend surtout qu’il s’agit de : 

 

  • les laisser se débrouiller localement avec des statuts dérogatoires au code de l’éducation (avec notamment des conseils plus “à la main” des président·es et des personnels plus soumis à leur hiérarchie) et lever les garde-fous réglementaires pour leur permettre de faire rentrer plus de ressources propres (frais d’inscription, location ou vente de bâtiments, recours aux emprunts, etc.), poursuivant ainsi le désengagement financier de l’État ;

     

  • les mettre en concurrence, y compris sur la scène internationale, à la fois vis-à-vis des ressources financières qu’elles se disputeront (via appels d’offre ou récompenses pour avoir atteint les objectifs fixés par les politiques gouvernementales) et vis-à-vis des étudiant·es (solvables) qu’elles inscriront dans leurs formations ou des personnels (excellents) qu’elles recruteront.

 

Dans le même temps, le ministère envisage de renforcer leur “pilotage stratégique” à travers des objectifs, des indicateurs de performance et des subventions conditionnées à l’atteinte de ces résultats (rôle des COMP). “En un mot, une évaluation dont on tire des conséquences. L’établissement comme le ministère”, précise la ministre.

 

Une des deux justifications ouvertement avancées pour imposer cet acte II de l’autonomie est que, selon le baromètre de l’European University Association (EUA), la France serait en queue de peloton des classements en matière d’autonomie des établissements de l’enseignement supérieur. Mais force est de constater que les quatre chapitres sur lesquels repose ce baromètre de l’autonomie (institutionnelle, pédagogique, financière, ressources humaines) n’intègrent ni les valeurs du service public, ni ceux de la fonction publique de carrière. 

 

L’autre nécessité revendiquée pour la mise en œuvre de cet acte II de l’autonomie est la sous-utilisation par les établissements, faute de “méconnaissance” (sic), “des marges de manœuvre” des possibilités offertes par “l’acte I de l’autonomie” engagé en 2007 avec la loi LRU. Sans doute la ministre met-elle dans l’ensemble de ces possibilités : le non recours à la modulation des services, pourtant possible, des enseignant·es-chercheur·es (EC), le faible développement des fondations d’université, le recrutement de contractuel·les qui ne décolle pas - contrairement au nombre de vacataires, etc. 

 

Enfin elle conclut son discours en expliquant que cet acte II de l’autonomie sera précédé “d’expérimentations” pour aller vers une “autonomie renforcée”, durant un an dans 9 établissements “pilotes” (Sorbonne Université, l’Université Paris 2 Panthéon-Assas, l’Université de Rennes, l’Université de Bordeaux, l’Université de Pau, Aix-Marseille Université, l’Université de Perpignan, l’École Centrale de Lyon et l'Université de Haute-Alsace), établissements volontaires sans aucune discussion préalable dans leurs instances. 

 

Expérimenter… sans hypothèses ni bilans !

 

Et la ministre d’évoquer une “méthode expérimentale (...) si chère aux scientifiques…” ! Quelle ironie et quel détournement des fondements de la méthode scientifique ! Depuis vingt ans les réformes de l’ESR se succèdent, sans qu’une hypothèse n’ait été clairement exposée et sans qu’un bilan explicite n’ait été présenté in fine pour en justifier soit l'abandon soit la poursuite ou la généralisation.

 

Ainsi, nous demandons une énième fois quel bilan a été tiré de la loi LRU de 2007 quant aux missions de l’ESR, quant au nombre d’étudiant·es accueilli·es et au budget accordé par l’État pour chacun d’entre eux et chacune d’entre elles, quant à leur réussite dans leur parcours d’études, leurs taux d’encadrement, la qualification de leurs enseignant·es, quant à la qualité de la recherche française, etc. Ce bilan n’a jamais été esquissé car il s’agit avant tout d’aller au bout de la conception libérale dans l’ESR, avec un pilotage venant du haut, et d’opérer la bascule vers la logique de marché et de profit pour quelques-un.es.

 

Pour le SNESUP-FSU, ce renforcement de l’autonomie rime avec une entreprise de démolition tous azimuts du service public de l’ESR. Le projet proposé est un modèle de gouvernance à la carte en fonction des sites, une offre de formation (et des droits d'inscription) avec une autonomie complète des établissements hors cadrage national, une gestion des ressources humaines également reportée sur les établissements avec le possible contournement du CNU (primes, repyramidage, carrières, …) et des textes réglementaires renforçant le pouvoir de décision des président·es. Enfin, la dévolution immobilière permet de transférer aux établissements la responsabilité de la mise à niveau énergétique des bâtiments, sans que le ministère n’ait à investir. Un modèle à l’opposé d’un modèle égalitaire et au service du plus grand nombre comme de l’intérêt général.

 

Qui en sortira gagnant·e ? De toute évidence ni les étudiant·es, ni les personnels. 

 

Le 9 avril dernier, lors de la réunion multilatérale, le SNESUP-FSU a demandé à la ministre des précisions sur son projet pour l’ESR. Aucune réponse satisfaisante n’a été apportée aux questions posées. La ministre n’a pas été convaincante, et n’a rassuré ni ses interlocuteurs ni ses interlocutrices. 

 

Paris, le 22 avril 2024

 


Note : https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/discours-de-sylvie-retailleau-vers-l-acte-ii-de-l-autonomie-des-etablissements-d-enseignement-95499