“Acte 2 de l’autonomie” : un projet d’une violence extrême pour le service public de l’ESR  - Appel de la Commission administrative du 14 décembre 2023 - Lettre flash n°83

Publié le 14 décembre 2023

 

 

 

Le 7 décembre dernier à l’occasion de l'installation du « Conseil présidentiel de la Science », puis le 11 décembre à Toulouse, le chef de l’État a décidé de précipiter « un changement total et irréversible » de la recherche française en donnant 18 mois pour opérer une « révolution » de la recherche au service presque exclusif de l’innovation et de l’économie. Un projet qui fait peser sur l’ESR des menaces d’une violence extrême : présidentialisation de la recherche, pseudo-autonomie, vrai dirigisme, démantèlement des statuts du l’ESR, modulation des services, etc.

 

L’auto-satisfecit d’Emmanuel Macron et la réalité du budget de l’ESR

 

E. Macron se satisfait des politiques menées depuis 2017 en matière de recherche. Pourtant, l’augmentation progressive de 5 Mds€ du budget de la recherche publique d’ici à 2030 prévue par la loi de programmation de la recherche (LPR) est déjà un échec patent : en 2024, c’est à une baisse en euros constants, à laquelle les équipes sont confrontées. Le budget de l’ESR reste le plus faible depuis 20 ans rapporté au produit intérieur brut.

 

Il se garde bien de faire des annonces de moyens supplémentaires, ni dans le cadre de la LPR, ni pour les investissements d’avenir ; pourtant, un consensus se dégage pour chiffrer à 3 % du PIB les besoins en la matière dont 1 % pour la recherche publique. À l’issue de ce discours, la France demeure donc un pays sous financé en matière de Recherche, l’effort se limitant à 2,2 % du PIB – inférieur à la moyenne des pays de l’OCDE, et même des pays de l’union européenne en raison en particulier du détournement des financements publics au bénéfice des entreprises privées.

 

Quant aux 54 Mds€ de « France 2030 », ils profiteront essentiellement à certaines grandes entreprises. L'attribution de cette manne par appels à projet creuse encore davantage les inégalités entre établissements de l’ESR et entre les territoires.

 

Centralisation du pilotage, dérégulation et évaluation sanction 

 

Dans une logique de « différenciation assumée » des financements en fonction des thématiques et de la soi-disant « excellence », E. Macron se propose d’accélérer le processus de dérégulation amorcé avec la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) et renforcé par la LPR et la mise en place des établissements expérimentaux. 

 

Partant du principe que « tous les organismes et les sites n’iront pas à la même vitesse », il décide « d’amorcer à marche forcée le travail de différenciation » sur la base de l’expérimentation , pour les organismes nationaux de recherche (ONR) comme pour les universités. Ces dernières pourront construire ainsi « une autonomie renforcée », afin de « gagner en flexibilité » et en « liberté ». 

 

Les Contrats d’objectifs, de moyens et de performance (COMP) seraient le moyen pour que les « universités qui y sont prêtes et qui le veulent fassent des propositions les plus audacieuses et permettent de gérer les ressources humaines, qui sont sur leur site avec une vraie logique de délégation de cette fonction (sic) ». La LRU créait déjà les responsabilités et compétences élargies (RCE), « l’acte 2 de l’autonomie » fixe comme objectif « d’aller vers la vraie autonomie » et donc le transfert des compétences de l’État aux établissements. L’État se délesterait encore davantage de la question des emplois, des carrières et des salaires. Tous les personnels de l’ESR en subiraient les conséquences, notamment par le renforcement du localisme et la gestion de l’austérité budgétaire, à l’image de la gestion locale des primes au mérite, des promotions et des rémunérations et services des personnels contractuels. 

 

Les établissements seraient en outre fortement contraints puisque l’essentiel des financements dépendrait des appels à projets des Agences de programmes ainsi que des priorités scientifiques décidées par le chef de l’État (voir ici pour le détail). En étendant encore davantage son domaine réservé, Emmanuel Macron s’attribue la définition des « thématiques de recherche prioritaire », et concède au MESR « les fonctions de pilotage et de stratégie ». Les COMP deviendraient le bras armé de l’évaluation des nouveaux dispositifs en couplant injonction, financement et évaluation : davantage d’accompagnement pour les unités de recherche bien notées, fermeture pour celles ayant eu une « mauvaise évaluation ». La « performance » serait attendue sur des temps courts – 3 à 5 ans – faute de quoi, la sanction tomberait : par exemple suppression de l’unité de recherche (UR) et affectation éventuelle de ses membres dans une autre UR, services à la hausse, etc.

 

Attaque tous azimuts contre les statuts et les libertés académiques

 

Les “structures et les statuts” seraient responsables d’une « trop grande complexité » et un frein à « l’efficacité de fonctionnement ». Pour Emmanuel Macron, « les statuts ne sont pas des protections, aujourd’hui, ils sont devenus des éléments de complexité » ;  s’adressant aux responsables de l’enseignement supérieur et de la recherche il ajoute : « je vous invite très sincèrement,[…], à les changer vous-mêmes ».

 

Il fixe l’objectif d’une remise en cause des statuts de tous les personnels de l’ESR : chercheur·es, enseignant·es-chercheur·es, enseignant·es et BIATSS ; mêlant arrogance et ironie déplacée (y compris à l’égard de la Ministre), c’est aux chef·fes d’établissement qu’il assigne cette tâche de « laisser toute la liberté académique aux meilleurs », oubliant qu’il n’appartient ni au Président de la République, ni aux Présidents d’universités, de modifier le droit de la fonction publique. Par cet appel à contourner le droit, E. Macron participe à affaiblir les institutions et la parole de l’État dont il est constitutionnellement le garant.

 

Concernant les objectifs précis, il qualifie de « stupidité absolue de notre système » le fait que l’on puisse être chercheur·e à temps complet tout au long de la vie : c’est donc la fin des statuts des chercheur·es des ONR qu’il décide. On retrouve ici les idées avancées dans le rapport Gillet reprises par le Président qui débouchent sur la proposition d’imposer aux chercheur·es d’effectuer des heures d’enseignement et aux EC une modulation des services comme une sanction alourdissant le service d’enseignement, les éloignant durablement de la recherche.

 

Le SNESUP-FSU appelle à préparer une mobilisation d’ampleur, dans l’unité syndicale, pour éviter que le projet annoncé aboutisse

 

Face à ces propos qui portent en germe la fin du service public de l’ESR mais également la poursuite du déclassement de la recherche en France, le SNESUP-FSU demande que la Ministre de l’ESR apporte rapidement des clarifications. Une intersyndicale se réunira prochainement pour discuter des modalités d’action pour mettre en échec ce projet. 

 

Le SNESUP-FSU appelle à multiplier les assemblées générales pour informer de ce projet délétère le personnel de l’ESR dans toute sa diversité. Il appelle l’ensemble des élu·es des conseils d'administration et conseils académiques des établissements à débattre de ce projet et adopter des motions pour y faire barrage.

 

Le SNESUP-FSU appelle à manifester dans les jours à venir, et notamment le 18 décembre prochain à Paris, à l’occasion de la journée internationale des droits des migrant·es, dans le cadre de la mobilisation portée par le collectif unitaire Uni·es Contre l’Immigration Jetable 2023, pour en finir pour de bon avec le projet indigne de Loi immigration et demander une politique migratoire d’accueil (voir communiqué FSU).

 

Le SNESUP-FSU appelle les personnels et étudiant·es de l’enseignement supérieur et de la recherche à se mobiliser dans leurs établissements et à se joindre aux rassemblements et aux manifestations unitaires qui sont organisés sur l’exigence du cessez-le-feu en Palestine et pour une paix juste et durable entre Israéliens et Palestiniens (voir communiqué intersyndical).

 

Appel voté à l’unanimité (40 POUR)

 

Paris, le 14 décembre 2023