Art 04 CNU, nominations

Publié le 23 avril 2004

Les nominations au CNU, une machine pour détourner le suffrage des enseignants-chercheurs.

 

Le CNU est composé de deux tiers de membres élus par les universitaires et d’un tiers de membres nommés par le ministère.

Pour justifier cette importante proportion, le ministère explique qu’il faut assurer, dans chaque section, la présence de spécialistes de chacune des sous-disciplines présentes dans la section et corriger les aléas des élections.
Cependant, la tentation d’utiliser les nominations pour défaire le résultat des élections est bien trop grande et tous les ministères en ont plus ou moins usé et abusé.

On se souvient encore, comment, il y a 8 ans, le ministère Bayrou avait renversé des majorités syndicales issues du suffrage des collègues par des nominations en faveur du syndicat autonome. Le syndicat autonome, ainsi devenu majoritaire dans certaines sections, avait mené une politique de promotions qui avait provoqué une vague de protestations, y compris de collègues se classant eux-mêmes à droite. Le ministère semblait en avoir tiré quelques leçons puisqu’en juin 2003, il avait demandé aux Présidents de section CNU sortants – y compris ceux du SNESup - de lui faire des propositions de nominations après les résultats électoraux.
Mais les vieux démons sont bien vite revenus.

Obscurité et dysfonctionnements


Fin novembre, les noms des membres nommés n’étaient toujours pas publics. C’est seulement le 30 novembre, à 2 jours des premières réunions de section destinées à élire les Présidents et les Bureaux, qu’ils ont été publiés au JO.
Et l’on a pu constater que les propositions des Présidents sortants, en tous cas des Présidents syndiqués au SNESUP, n’avaient pas été prises en compte même partiellement (exemple : section 16).
Mais qui a donc préparé les nominations ? On ne sait pas trop. Il semble que les conseillers scientifiques de la MSTP aient joué un rôle majeur mais aussi qu’il y ait eu des interventions du cabinet de M. Raffarin. En tout cas, le dossier des nominations est resté plusieurs semaines sur le bureau du directeur adjoint du cabinet de Luc Ferry et les nominations ont été prononcées par le Ministre qui devra assumer les dysfonctionnements voire les scandales qui en résultent.

Dysfonctionnements.


Un certain nombre de membres nommés sont déjà démissionnaires, ils n’avaient même pas été consultés ! En section 11, langue et littérature anglaise, une collègue MC est en congés de maternité et a immédiatement démissionné, une autre est MC stagiaire et ne peut être membre du CNU.
En section 21, histoire ancienne et médiévale, trois des nommés sont d’emblée démissionnaire. Pour les remplacer et représenter les domaines absents, la Présidente de la section propose trois noms au ministère qui accepte et informe les collègues concernés par lettre début janvier. Des dossiers de qualification leur sont confiés et ils les traitent pour la réunion de la section qui doit se réunir début mars. Mais surprise ! Leurs noms ne figurent pas dans la liste des 54 nominations parues au JO du 19 février 2004. Ils ont été « dénommés » à la suite, semble-t-il, de l’intervention du cabinet de M. Raffarin. Parmi les trois nouvelles nominations, seul un enseignant s’est fait connaître, le second est démissionnaire, le troisième introuvable car inconnu.

La section 21 envoie la lettre de protestation suivante au ministre :


« Monsieur le Ministre,
Les membres du bureau de la 21e section du CNU tenons à vous faire savoir, et nous allons également le faire savoir à la Presse, que nous sommes scandalisés par le mépris avec lequel nous traitent les services de votre ministère. Le procédé consistant à prévenir des collègues de leur nomination au CNU, puis à leur faire savoir un mois plus tard, par téléphone, que leur nomination n’a pas été entérinée, pour des raisons obscures, alors qu’ils ont travaillé sur les dossiers, est inqualifiable et grossier. Il traduit un profond mépris pour nos collègues et porte en même temps gravement préjudice au bon déroulement de notre travail, dans la mesure où les dossiers sont entre les mains de nos collègues et où nous n’aurons pas le temps de les examiner avant le début de nos travaux. En outre, les nominations publiées au Journal officiel du 19 février ne répondent pas du tout à nos demandes et ne rééquilibrent nullement les spécialités, comme cela doit se faire. Votre conception politicienne des nominations au CNU exprime une indifférence à notre fonctionnement et un dédain de notre travail qui scandaliseront tous ceux qui dans ce pays croient encore aux vertus républicaines du service public. »


Des « dénominations » ont également eu lieu en section 19, sociologie et en section 67, biologie des populations.
En section 23, géographie, une collègue nommée en A était déjà élue, une autre nommée en A appartient au collège B
Si les démissions sont intervenues après la désignation des rapporteurs par les nouveaux bureaux, les candidats à la qualification leur ont adressé des dossiers qui sont refusés. Les candidats inquiets téléphonent au SNESUP… L’image de l’Enseignement Supérieur n’en sort pas grandie !


En principe, l’objet des nominations est de réparer des déséquilibres géographiques, sexistes, thématiques créés par le résultat des élections. Or que constatons nous ?


En section 27, informatique, 3 femmes sur 16 figurent parmi les nommés et l’une d’entre elles a démissionné. Les petites universités sont sous représentées.. En section 35, physique et chimie de la terre, les nominations sont essentiellement parisiennes et aucune des propositions du président sortant n’a été retenue. En section 16, psychologie, beaucoup de nommés relève de la même orientation sous disciplinaire (psycho-cognitive expérimentale), il y a même deux nommés du même laboratoire ! De même en section 23.

De plus, dans certaines sections, des champs thématiques sont absents ce qui amène à d’autres dérives. Les Présidents font donc appel à des experts dans des conditions ahurissantes ! En section 18, arts plastiques, etc…, qui compte 24 membres, 19 experts, tous professeurs, figurent sur l’organigramme établi par le ministère.

Quant on sait le poids de l’avis des rapporteurs dans le processus des qualifications, cet appel inconsidéré à des experts extérieurs à la section est plus que problématique. On voudrait tuer le CNU, instance paritaire, entre collège A et collège B, élue pour les 2/3 de ses membres qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

Renverser le résultat des élections


Les dernières élections ont été un succès pour le SNESUP et même si le SGEN recule un peu en collège B, les listes syndicales ont recueilli 51,8% des voix. Le syndicat autonome est en pleine déroute (6%) et les listes de la droite universitaire n’arrivent pas à percer.
Pour le ministère, il fallait donc atténuer le succès du SNESUP au moment de l’élection des Présidents. Il fallait aussi éliminer des Présidents sortants sans étiquette précise mais qui se sont montrés revendicatifs face au ministère sur la question des moyens accordés au CNU pour son fonctionnement et sur le nombre de promotions possibles.

Voici donc un bilan dressé à partir des contributions des élus SNESUP dans diverses sections.

Section 01 : droit privé, 24 élus, 12 nommés.
Le syndicat autonome a obtenu :
5 élus sur 12 en collège A, 4 élus sur 12 en collège B.
Un président du syndicat autonome est élu avec 17 voix face à un candidat commun des listes syndicales et indépendantes. Les nommés ont fait la différence.

Section 02 : droit privé, 24 élus, 12 nommés
Le syndicat autonome a obtenu :
4 élus sur 12 en collège A, 3 élus sur 12 en collège B
Un président autonome est élu grâce aux nommés.

Section 05 : sciences économiques
Après les élections, les listes syndicales et apparentées (SNESUP, SGEN, liste Pluralisme et Qualité) avaient 21 contre 11 pour les listes autonome et QSF.
Un président QSF (droite avec soutien autonome) est élu par 24 voix contre 20 au candidat Pluralisme et Qualité soutenu par le SNESUP et le SGEN. Le vice-président A est également de l’autonome. Tous les membres nommés ont voté pour la coalition QSF-syndicat autonome.

Section 06 : sciences de gestion, 24 élus, 12 nommés
Un président autonome est élu par 19 voix contre 17 à un candidat issu des listes Variance arrivées en tête dans les collèges A et B. Tous les nommés ont voté autonome.

N.B. Dans les sections 05 et 06, les présidents sortants, non syndiqués, avaient animé un mouvement de contestation dans la réunion des Présidents et Vice Présidents des sections sur le nombre insuffisant des promotions et sur les conditions de fonctionnement du CNU. Ils se représentaient et le ministère les a fait battre par des nominations bien choisies. Punis !

Section 08 : 16 élus et 8 nommés
Le syndicat autonome qui a obtenu 4 élus sur 8 en collège A et 4 élus sur 8 en collège B obtient légitimement la Présidence. La règle démocratique veut que, dans ce cas, les autres listes soient représentées au bureau si elles le souhaitent. Mais, le syndicat autonome prend aussi les vice-présidences A et B grâce aux nommés et l’assesseur B lui échappe de peu. Les nommés ont assuré une domination que l’autonome voulait sans partage.
Section 09 : langue française, 24 élus, 12 nommés
C’est un cas un peu particulier, le syndicat autonome, majoritaire il y a 8 ans grâce aux nominations, a laissé un si mauvais souvenir qu’une « union sacrée » entre QSF (généralement alliée à l’autonome ailleurs), SGEN et SNESUP a assuré une Présidence QSF. Mais, grâce aux nommés, la vice-présidence A est allée à l’autonome (3 élus sur 12).
Cette majorité donnée à l’autonome par les nominations en collège A est problématique pour les futures qualifications PR et pour les promotions PR.


Section 10 : littérature comparée, 16 élus, 8 nommés
Les nommés n’ont pas influencé l’élection du bureau mais 2 sur 4 des nommés du collège A sont d’anciens candidats de l’autonome, un autre en est notoirement proche.


Section 20 : anthropologie, 16 élus, 8 nommés
10 élus sur 16 pour le SNESUP, les membres nommés renversent cette confortable majorité !!
Section 21 : histoire ancienne, 24 élus, 12 nommés
Un accord intersyndical a permis l’élection d’un président SGEN arrivé en tête de l’élection. Par contre, pour l’élection du vice-président A, aucun des nommés n’a voté pour le candidat SNESUP battu par 7 voix contre 9 à QSF.
Section 25 et 26 : mathématiques
Les voix des nommés se sont partagées entre le candidat SNESUP et le candidat QSF en section 25. En section 26, l’opposition à la candidature SNESUP était menée par un collègue très marqué à droite avec des soutiens issus d’une sous-discipline bien précise. Dans ces deux sections, des Présidents SNESUP ont cependant été élus à une large majorité avec un soutien intersyndical.
Le syndicat autonome, portant en pleine déroute est souvent le bénéficiaire privilégié de la politique des nominations du ministère. Mais, dès qu’il s’agit de barrer des candidats revendicatifs et surtout SNESUP, des listes asyndicales ou antisyndicales peuvent recevoir le soutien du ministère.
Voici l’exemple des sections de chimie.


Section 31 : chimie, physique, 24 élus et 12 nommés
Après l’élection, le rapport de force s’établissait ainsi :
Listes SNESUP, SGEN, UNSA : 7 élus sur 12 en collège A, 8 élus sur 12 en collège B
Droite et divers : 5 sur 12 en collège A, 4 sur 12 en collège B
Grâce aux nommés, pour la Présidence, le candidat « Droite et divers » obtient 16 voix et recueillie 7 voix des nommés.
La candidate SNESUP obtient aussi 16 voix, une voix venant des nommés. Un partage de la présidence par période de deux années chacune a été décidé.


Section 32 : chimie organique, 32 élus et 16 nommés
Après l’élection, les listes SNESUP, SGEN, UNSA avaient 7 élus sur 16 en collège A et 9 élus sur 16 en collège B.
En collège A comme en collège B, les nommés ont massivement voté pour une alliance QSF-syndicat autonome. En collège B, les nommés ont fait élire une vice-présidente tête d’une liste qui a obtenu 2 sièges ! Le SNESUP en a 6 et ne sera pas représenté au bureau pour la première fois depuis plus de 20 ans. Le SNESUP avait gagné un siège en A avec 5 élus et un siège en B avec 6 élus.


Section 33 : chimie des matériaux, 24 élus, 12 nommés
Les listes de droite ont obtenu par la voie de l’élection : 7 élus sur 12 en collège A, 0 élu sur 12 en collège B
Grâce à 10 voix des 12 nommés, la candidate de la droite qui représentait 7 élus sur 24, obtient 17 voix tout comme le candidat de l’intersyndicale SNESUP-SGEN. Elle est élue président au bénéfice de l’âge. Un élu SNESUP n’avait pas pu assister à la réunion pour cas de force majeure : la ligne St Etienne-Paris était coupée par les intempéries.

Section 36 : géologie et paléontologie
Un président SNESUP a été élu mais avec une seule voix issue des membres nommés.

Section 64 : biochimie et section 66 : physiologie
Les voix des nommés se portent massivement sur des candidatures asyndicales pour l’élection du Président.

Section 65 : biologie cellulaire
Les nommés votent très massivement pour le candidat asyndical. La majorité intersyndicale étant très forte, une présidente SNESUP est néanmoins élue.

Section 70 : sciences de l’éducation
La présidente SNESUP est élue à l’unanimité, un des membres nommés est une figure bien connue de ce que certains appellent « l’extrême gauche » et d’autres « la gauche critique ». Un ilôt dans un océan de nominations à droite.

Section 71 : sciences de la communication
Les nommés présents ont voté pour le même candidat mais n’ont pu empêcher, à une voix près, l’élection d’une candidate soutenue par l’intersyndicale.


Section 74 : STAPS
Les nommés MC ont participé à l’éviction du candidat SNESUP pour le poste d’assesseur en collège B alors que le SNESUP avec 3 élus est à égalité avec la liste majoritaire.

Dans la plupart des exemples cités, les nominations avaient été orientées pour empêcher le SNESUP de conquérir les présidences auxquelles ses résultats électoraux lui donnaient droit. Cela n’a pas empêché le SNESUP de conserver l’essentiel des présidences détenues précédemment et d’en conquérir d’autres. Cela n’empêchera pas non plus les élus SNESUP d’œuvrer pour l’applicationde leur programme pour la reconnaissance de l’ensemble des missions, le déblocage des carrières, le refus de l’élitisme. Mais cela sera rendu plus difficile par les nominations « politiques » effectuées par le ministre, du reste dénoncées dans une tribune libre parue dans le Monde du 16 décembre et un article publié dans le Canard Enchaîné du 24 décembre 2003.

Jacques Guyot