Art 04 CNU, nominations
Les nominations au CNU, une machine pour détourner le suffrage des enseignants-chercheurs.
Le CNU est composé de deux tiers de membres élus par les universitaires
et d’un tiers de membres nommés par le ministère.
Pour justifier cette importante proportion, le ministère explique qu’il
faut assurer, dans chaque section, la présence de spécialistes
de chacune des sous-disciplines présentes dans la section et corriger
les aléas des élections.
Cependant, la tentation d’utiliser les nominations pour défaire
le résultat des élections est bien trop grande et tous les ministères
en ont plus ou moins usé et abusé.
On se souvient encore, comment, il y a 8 ans, le ministère Bayrou avait
renversé des majorités syndicales issues du suffrage des collègues
par des nominations en faveur du syndicat autonome. Le syndicat autonome, ainsi
devenu majoritaire dans certaines sections, avait mené une politique
de promotions qui avait provoqué une vague de protestations, y compris
de collègues se classant eux-mêmes à droite. Le ministère
semblait en avoir tiré quelques leçons puisqu’en juin 2003,
il avait demandé aux Présidents de section CNU sortants –
y compris ceux du SNESup - de lui faire des propositions de nominations après
les résultats électoraux.
Mais les vieux démons sont bien vite revenus.
Obscurité et dysfonctionnements
Fin novembre, les noms des membres nommés n’étaient
toujours pas publics. C’est seulement le 30 novembre, à
2 jours des premières réunions de section destinées à
élire les Présidents et les Bureaux, qu’ils ont été
publiés au JO.
Et l’on a pu constater que les propositions des Présidents sortants,
en tous cas des Présidents syndiqués au SNESUP, n’avaient
pas été prises en compte même partiellement (exemple : section
16).
Mais qui a donc préparé les nominations ? On
ne sait pas trop. Il semble que les conseillers scientifiques de la MSTP aient
joué un rôle majeur mais aussi qu’il y ait eu des interventions
du cabinet de M. Raffarin. En tout cas, le dossier des nominations
est resté plusieurs semaines sur le bureau du directeur adjoint du cabinet
de Luc Ferry et les nominations ont été prononcées par
le Ministre qui devra assumer les dysfonctionnements voire les scandales qui
en résultent.
Dysfonctionnements.
Un certain nombre de membres nommés sont déjà démissionnaires,
ils n’avaient même pas été consultés ! En
section 11, langue et littérature anglaise, une collègue
MC est en congés de maternité et a immédiatement démissionné,
une autre est MC stagiaire et ne peut être membre du CNU.
En section 21, histoire ancienne et médiévale,
trois des nommés sont d’emblée démissionnaire. Pour
les remplacer et représenter les domaines absents, la Présidente
de la section propose trois noms au ministère qui accepte et informe
les collègues concernés par lettre début janvier. Des dossiers
de qualification leur sont confiés et ils les traitent pour la réunion
de la section qui doit se réunir début mars. Mais surprise ! Leurs
noms ne figurent pas dans la liste des 54 nominations parues au JO du 19 février
2004. Ils ont été « dénommés » à
la suite, semble-t-il, de l’intervention du cabinet de M. Raffarin. Parmi
les trois nouvelles nominations, seul un enseignant s’est fait connaître,
le second est démissionnaire, le troisième introuvable car inconnu.
La section 21 envoie la lettre de protestation suivante au ministre :
« Monsieur le Ministre,
Les membres du bureau de la 21e section du CNU tenons à vous faire savoir,
et nous allons également le faire savoir à la Presse, que nous
sommes scandalisés par le mépris avec lequel nous traitent les
services de votre ministère. Le procédé consistant à
prévenir des collègues de leur nomination au CNU, puis à
leur faire savoir un mois plus tard, par téléphone, que leur nomination
n’a pas été entérinée, pour des raisons obscures,
alors qu’ils ont travaillé sur les dossiers, est inqualifiable
et grossier. Il traduit un profond mépris pour nos collègues et
porte en même temps gravement préjudice au bon déroulement
de notre travail, dans la mesure où les dossiers sont entre les mains
de nos collègues et où nous n’aurons pas le temps de les
examiner avant le début de nos travaux. En outre, les nominations publiées
au Journal officiel du 19 février ne répondent pas du tout à
nos demandes et ne rééquilibrent nullement les spécialités,
comme cela doit se faire. Votre conception politicienne des nominations au CNU
exprime une indifférence à notre fonctionnement et un dédain
de notre travail qui scandaliseront tous ceux qui dans ce pays croient encore
aux vertus républicaines du service public. »
Des « dénominations » ont également eu lieu
en section 19, sociologie et en section 67, biologie
des populations.
En section 23, géographie, une collègue nommée
en A était déjà élue, une autre nommée en
A appartient au collège B
Si les démissions sont intervenues après la désignation
des rapporteurs par les nouveaux bureaux, les candidats à la qualification
leur ont adressé des dossiers qui sont refusés. Les candidats
inquiets téléphonent au SNESUP… L’image de l’Enseignement
Supérieur n’en sort pas grandie !
En principe, l’objet des nominations est de réparer des
déséquilibres géographiques, sexistes, thématiques
créés par le résultat des élections. Or que
constatons nous ?
En section 27, informatique, 3 femmes sur 16 figurent parmi
les nommés et l’une d’entre elles a démissionné.
Les petites universités sont sous représentées.. En
section 35, physique et chimie de la terre, les nominations sont essentiellement
parisiennes et aucune des propositions du président sortant n’a
été retenue. En section 16, psychologie, beaucoup de nommés
relève de la même orientation sous disciplinaire (psycho-cognitive
expérimentale), il y a même deux nommés du même laboratoire
! De même en section 23.
De plus, dans certaines sections, des champs thématiques
sont absents ce qui amène à d’autres dérives.
Les Présidents font donc appel à des experts
dans des conditions ahurissantes ! En section 18, arts plastiques, etc…,
qui compte 24 membres, 19 experts, tous professeurs, figurent sur l’organigramme
établi par le ministère.
Quant on sait le poids de l’avis des rapporteurs dans le processus des
qualifications, cet appel inconsidéré à des experts extérieurs
à la section est plus que problématique. On voudrait tuer le CNU,
instance paritaire, entre collège A et collège B, élue
pour les 2/3 de ses membres qu’on ne s’y prendrait pas autrement.
Renverser le résultat des élections
Les dernières élections ont été un succès
pour le SNESUP et même si le SGEN recule un peu en collège B, les
listes syndicales ont recueilli 51,8% des voix. Le syndicat autonome est en
pleine déroute (6%) et les listes de la droite universitaire n’arrivent
pas à percer.
Pour le ministère, il fallait donc atténuer le succès du
SNESUP au moment de l’élection des Présidents. Il fallait
aussi éliminer des Présidents sortants sans étiquette précise
mais qui se sont montrés revendicatifs face au ministère sur la
question des moyens accordés au CNU pour son fonctionnement et sur le
nombre de promotions possibles.
Voici donc un bilan dressé à partir des contributions des élus
SNESUP dans diverses sections.
Section 01 : droit privé, 24 élus, 12 nommés.
Le syndicat autonome a obtenu :
5 élus sur 12 en collège A, 4 élus sur 12 en collège
B.
Un président du syndicat autonome est élu avec 17 voix face à
un candidat commun des listes syndicales et indépendantes. Les nommés
ont fait la différence.
Section 02 : droit privé, 24 élus, 12 nommés
Le syndicat autonome a obtenu :
4 élus sur 12 en collège A, 3 élus sur 12 en collège
B
Un président autonome est élu grâce aux nommés.
Section 05 : sciences économiques
Après les élections, les listes syndicales et apparentées
(SNESUP, SGEN, liste Pluralisme et Qualité) avaient 21 contre 11 pour
les listes autonome et QSF.
Un président QSF (droite avec soutien autonome) est élu par 24
voix contre 20 au candidat Pluralisme et Qualité soutenu par le SNESUP
et le SGEN. Le vice-président A est également de l’autonome.
Tous les membres nommés ont voté pour la coalition QSF-syndicat
autonome.
Section 06 : sciences de gestion, 24 élus, 12 nommés
Un président autonome est élu par 19 voix contre 17 à un
candidat issu des listes Variance arrivées en tête dans les collèges
A et B. Tous les nommés ont voté autonome.
N.B. Dans les sections 05 et 06, les présidents sortants, non syndiqués,
avaient animé un mouvement de contestation dans la réunion des
Présidents et Vice Présidents des sections sur le nombre insuffisant
des promotions et sur les conditions de fonctionnement du CNU. Ils se représentaient
et le ministère les a fait battre par des nominations bien choisies.
Punis !
Section 08 : 16 élus et 8 nommés
Le syndicat autonome qui a obtenu 4 élus sur 8 en collège A et
4 élus sur 8 en collège B obtient légitimement la Présidence.
La règle démocratique veut que, dans ce cas, les autres listes
soient représentées au bureau si elles le souhaitent. Mais, le
syndicat autonome prend aussi les vice-présidences A et B grâce
aux nommés et l’assesseur B lui échappe de peu. Les nommés
ont assuré une domination que l’autonome voulait sans partage.
Section 09 : langue française, 24 élus, 12 nommés
C’est un cas un peu particulier, le syndicat autonome, majoritaire il
y a 8 ans grâce aux nominations, a laissé un si mauvais souvenir
qu’une « union sacrée » entre QSF (généralement
alliée à l’autonome ailleurs), SGEN et SNESUP a assuré
une Présidence QSF. Mais, grâce aux nommés, la vice-présidence
A est allée à l’autonome (3 élus sur 12).
Cette majorité donnée à l’autonome par les nominations
en collège A est problématique pour les futures qualifications
PR et pour les promotions PR.
Section 10 : littérature comparée, 16 élus, 8 nommés
Les nommés n’ont pas influencé l’élection du
bureau mais 2 sur 4 des nommés du collège A sont d’anciens
candidats de l’autonome, un autre en est notoirement proche.
Section 20 : anthropologie, 16 élus, 8 nommés
10 élus sur 16 pour le SNESUP, les membres nommés renversent cette
confortable majorité !!
Section 21 : histoire ancienne, 24 élus, 12 nommés
Un accord intersyndical a permis l’élection d’un président
SGEN arrivé en tête de l’élection. Par contre, pour
l’élection du vice-président A, aucun des nommés
n’a voté pour le candidat SNESUP battu par 7 voix contre 9 à
QSF.
Section 25 et 26 : mathématiques
Les voix des nommés se sont partagées entre le candidat SNESUP
et le candidat QSF en section 25. En section 26, l’opposition à
la candidature SNESUP était menée par un collègue très
marqué à droite avec des soutiens issus d’une sous-discipline
bien précise. Dans ces deux sections, des Présidents SNESUP ont
cependant été élus à une large majorité avec
un soutien intersyndical.
Le syndicat autonome, portant en pleine déroute est souvent le bénéficiaire
privilégié de la politique des nominations du ministère.
Mais, dès qu’il s’agit de barrer des candidats revendicatifs
et surtout SNESUP, des listes asyndicales ou antisyndicales peuvent recevoir
le soutien du ministère.
Voici l’exemple des sections de chimie.
Section 31 : chimie, physique, 24 élus et 12 nommés
Après l’élection, le rapport de force s’établissait
ainsi :
Listes SNESUP, SGEN, UNSA : 7 élus sur 12 en collège A, 8 élus
sur 12 en collège B
Droite et divers : 5 sur 12 en collège A, 4 sur 12 en collège
B
Grâce aux nommés, pour la Présidence, le candidat «
Droite et divers » obtient 16 voix et recueillie 7 voix des nommés.
La candidate SNESUP obtient aussi 16 voix, une voix venant des nommés.
Un partage de la présidence par période de deux années
chacune a été décidé.
Section 32 : chimie organique, 32 élus et 16 nommés
Après l’élection, les listes SNESUP, SGEN, UNSA avaient
7 élus sur 16 en collège A et 9 élus sur 16 en collège
B.
En collège A comme en collège B, les nommés ont massivement
voté pour une alliance QSF-syndicat autonome. En collège B, les
nommés ont fait élire une vice-présidente tête d’une
liste qui a obtenu 2 sièges ! Le SNESUP en a 6 et ne sera pas représenté
au bureau pour la première fois depuis plus de 20 ans. Le SNESUP avait
gagné un siège en A avec 5 élus et un siège en B
avec 6 élus.
Section 33 : chimie des matériaux, 24 élus, 12 nommés
Les listes de droite ont obtenu par la voie de l’élection : 7 élus
sur 12 en collège A, 0 élu sur 12 en collège B
Grâce à 10 voix des 12 nommés, la candidate de la droite
qui représentait 7 élus sur 24, obtient 17 voix tout comme le
candidat de l’intersyndicale SNESUP-SGEN. Elle est élue président
au bénéfice de l’âge. Un élu SNESUP n’avait
pas pu assister à la réunion pour cas de force majeure : la ligne
St Etienne-Paris était coupée par les intempéries.
Section 36 : géologie et paléontologie
Un président SNESUP a été élu mais avec une seule
voix issue des membres nommés.
Section 64 : biochimie et section 66 : physiologie
Les voix des nommés se portent massivement sur des candidatures asyndicales
pour l’élection du Président.
Section 65 : biologie cellulaire
Les nommés votent très massivement pour le candidat asyndical.
La majorité intersyndicale étant très forte, une présidente
SNESUP est néanmoins élue.
Section 70 : sciences de l’éducation
La présidente SNESUP est élue à l’unanimité,
un des membres nommés est une figure bien connue de ce que certains appellent
« l’extrême gauche » et d’autres « la gauche
critique ». Un ilôt dans un océan de nominations à
droite.
Section 71 : sciences de la communication
Les nommés présents ont voté pour le même candidat
mais n’ont pu empêcher, à une voix près, l’élection
d’une candidate soutenue par l’intersyndicale.
Section 74 : STAPS
Les nommés MC ont participé à l’éviction du
candidat SNESUP pour le poste d’assesseur en collège B alors que
le SNESUP avec 3 élus est à égalité avec la liste
majoritaire.
Dans la plupart des exemples cités, les nominations
avaient été orientées pour empêcher le SNESUP
de conquérir les présidences auxquelles ses résultats
électoraux lui donnaient droit. Cela n’a pas empêché
le SNESUP de conserver l’essentiel des présidences
détenues précédemment et d’en conquérir d’autres.
Cela n’empêchera pas non plus les élus SNESUP d’œuvrer
pour l’applicationde leur programme pour la reconnaissance de l’ensemble
des missions, le déblocage des carrières, le refus de l’élitisme.
Mais cela sera rendu plus difficile par les nominations «
politiques » effectuées par le ministre, du reste dénoncées
dans une tribune libre parue dans le Monde du 16 décembre et
un article publié dans le Canard Enchaîné du 24 décembre
2003.
Jacques Guyot