Rapport de la commission thème 2 : Restructuration de la recherche

Publié le 26 juin 2017

 

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Restructuration de la recherche

Le paysage de l’enseignement supérieur et la recherche (ESR) français se transforme aujourd’hui fortement autour de la croyance idéologique (plus largement inscrite dans le processus de Bologne de 1999 et la stratégie de Lisbonne de 2000) que seules la concurrence et la compétition sont gages d’excellence scientifique et d’un haut niveau de formation, et que la plus-value économique suffit, à elle seule, à justifier la nécessité d’une restructuration de l’ESR (notamment chez nos parlementaires qui sont soumis à un lobbying très majoritairement néolibéral). Ce processus de restructuration radicale touche aujourd’hui tous les secteurs et plus particulièrement celui de la recherche.

Des transformations institutionnelles majeures
Dans ce contexte, un certain nombre de réorganisations sont d’ores et déjà visibles et génératrices de régressions pour la recherche.
La première est la modification des règles d’attribution des moyens humains et financiers aux établissements. Les politiques menées par les gouvernements successifs depuis dix ans ont abouti à la suppression de la répartition des moyens entre établissements au prorata du nombre d’étudiant.e.s et de chercheur/euse.s pour les distribuer au prorata de la visibilité internationale de la recherche (la visibilité s’entendant au regard des indicateurs quantitatifs en termes de ranking, de nombre de publications, de niveau de facteur d’impact des publications, de hauteur de l’index H…) sans que la qualité de la recherche, la diversité et l’innovation soient plus significativement que par le passé au rendez-vous.
La deuxième est la mise en place d’un mode de gouvernance managérial néolibéral dans les établissements (lois LRU et ESR) qui renforce le pouvoir de la DGS et met à mal la démocratie participative de l’ESR qui s’était instaurée autour des président.e.s d’université et de leurs conseils centraux et de composantes.
La troisième est le renoncement partiel à la mission de service public de formation supérieure et de recherche, débouchant de fait sur des inégalités entre les différents territoires de l’Hexagone. L’État s’engage toujours dans le respect de la territorialité mais, si la notion de répartition territoriale recouvrait, avant l’autonomisation des universités, les 85 universités qui composaient le paysage de l’ESR, aujourd’hui elle se ramène à un secteur drastiquement réduit renvoyant aux 25 regroupements d’établissements du supérieur ou aux restructurations en cours en fédérations.


Quelles conséquences sur les missions de recherche ?
Restriction et restructuration du périmètre de la recherche

Le SNESUP constate que la structuration de la recherche française autour des dix priorités nationales définies par la stratégie nationale de la recherche (SNR) à partir du programme européen H2025 façonne aujourd’hui tous les appels à projets (AAP) de recherche, depuis les appels à projets européens jusqu’aux appels à projets régionaux. Ce qui au départ n’est qu’une priorisation, conjuguée à la réduction drastique des financements récurrents de la recherche des établissements universitaires (en moyens et personnels), entraîne des conséquences multiples. Plusieurs points ont été soulignés :
– l’interdisciplinarité ne peut être la seule orientation de la recherche. La recherche disciplinaire doit rester centrale en termes de développement d’expertise. C’est à cette condition qu’elle peut nourrir l’interdisciplinarité. Les AAP doivent donc être tant disciplinaires qu’interdisciplinaires ;
– le constat d’assèchement des thématiques de recherche hors priorités nationales est unanime, sachant que ces priorités sont resserrées sur un périmètre thématique très restreint et asservies à des finalités économiques et entrepreneuriales publiques ou privées. Il aboutit au décrochage de certains collègues sur leurs activités de recherche. Pour limiter les effets délétères de la politique gouvernementale actuelle en matière de moyens de recherche, de réseaux collaboratifs, de mutualisation d’outils et de formations, le SNESUP propose de mettre en place une « plate-forme de solidarité recherche » sur son site, dans la lignée des propositions des états généraux de la recherche de 2004 ;
– le SNESUP défend la nécessité de développer des AAP et des financements pérennes hors priorités nationales ;
– une erreur politique grave serait de ne pas rouvrir suffisamment le financement d’une recherche fondamentale, diversifiée, basée sur une liberté de recherche individuelle ;
– cette liberté est conditionnée par la possibilité de rattachement de chaque collègue au laboratoire de son choix, y compris hors de son établissement ;
– au niveau des établissements, pour préserver la liberté individuelle de recherche, le SNESUP suggère d’ouvrir ou d’augmenter localement des AAP blancs, collectifs ou individuels de tailles variables et à cette fin, au-delà des financements par laboratoire, d’abonder la part de financement BQR (Bonus qualité recherche) fléchée en ce sens ;- plus largement, le SNESUP, face aux enjeux économiques et sociaux de demain, alerte sur la nécessité de financements pérennes pour réaccroître la recherche fondamentale, sur le long terme et dans tous les champs thématiques, réduire la précarité par embauche de personnels statutaires. En conséquence, l’État doit revoir le ratio budgétaire alloué aux financements pérennes par rapport aux AAP. Un ratio à hauteur de 70 %-30 % est préconisé par le SNESUP. Les ressources financières de la recherche publique transposées sur la recherche privée via le crédit d’impôt recherche (CIR) doivent lui revenir, pour atteindre enfin 1 % du PIB nécessaire au maintien du niveau international de la recherche française ;
– dans le cadre du partenariat public-privé de la recherche (PPP), l’absence de transparence des moyens utilisés et notamment leur fléchage est irresponsable pour un État stratège. Le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation est plus particulièrement en défaut de mise à disposition des bases de données sur ce point et doit urgemment se mettre en conformité avec la loi numérique qui l’impose maintenant aux institutions régaliennes. Plus largement, une cartographie précise et détaillée de la distribution aux établissements des dotations budgétaires MIRES, PIA, etc. est à ce jour totalement absente ;
– dans le cadre des AAP, les coûts établissements sont de manière générale sous-évalués car la part des frais généraux de fonctionnement est très en deçà des coûts réels. Le SNESUP préconise qu’elle soit portée à 10 % ;
– enfin, dans le contexte actuel de défiance vis-à-vis des sciences, le SNESUP rappelle l’importance du rôle des enseignant.e.s-chercheur/euse.s dans la diffusion des savoirs à destination de la société civile.


Les prochaines étapes
Dans un contexte de mondialisation au travers de laquelle « l’excellence » est déclinée sous toutes ses formes, PIA1, PIA2, PIA3, Idex et Isite et autres Labex font désormais partie du vocabulaire quotidien de l’ESR, révélant la partie émergée de l’iceberg.
Ainsi, les premiers bilans montrent que les financements des PIA ne sont pas toujours à la hauteur des frais engagés et mettent dans ce cas en péril l’équilibre budgétaire des structures porteuses.
Mais, plus gravement, pour permettre à ces PIA de fonctionner, des prélèvements conséquents sont effectués sur les moyens pérennes des établissements tant au niveau humain que financier. La conséquence est lourde pour les domaines hors périmètre d’excellence, mettant en péril les recherches, les conditions de travail des personnels et des usagers et les formations.
Sur ce point, le SNESUP alerte sur l’affaiblissement de la place de la formation à et par la recherche. Au contraire, le SNESUP réaffirme la nécessité de présence de celle-ci dès le L1 pour répondre à la formation d’un.e étudiant.e autonome et critique.
Dans la même logique, le SNESUP soutient une formation master indifférenciée entre les champs professionnel et de recherche, répondant tout à fait aux exigences en matière de qualité de formation et de niveau à atteindre.
C’est pourquoi, plus largement, il s’oppose à la disparition du corps des enseignant.e.s-chercheur/euse.s et à la réaffectation de ces derniers dans le corps des enseignant.e.s d’un côté et des chercheur/euse.s de l’autre.
En revanche, dans le cadre doctoral, des manquements sont soulignés. La démultiplication des enseignements rendus obligatoires aboutit à la diminution du temps consacré à la recherche et affaiblit le niveau de la formation doctorale. Concernant les encadrements doctoraux, le manque de cadrage de la mise en place des comités de suivi de thèse par les écoles et collèges doctoraux se traduit par des dérives (« flicage » des directeurs et directrices de thèse, orientation des sujets de thèse, etc.), entraînant un sentiment de désappropriation de la recherche par les directeur/trice.s de thèse et les réduisant à de simples exécutant.e.s, sans pour autant protéger les doctorant.e.s. L’obtention de la collation des grades par les écoles d’ingénieurs pousse à la mise en place de doctorats « light » par VAE. Le SNESUP demande que les universités restent seules habilitées à la collation des grades.


Universités de proximité, collèges universitaires et écoles universitaires de recherche
Les établissements universitaires perdent l’égalité territoriale de la formation et de la recherche. En effet, leur scission en universités de recherche, universités de proximité et collèges universitaires est en marche. Cela se concrétise notamment au travers de l’appel à projets PIA3 qui crée des écoles universitaires de recherche (EUR) incluant masters et doctorats d’excellence (ouverts prioritairement aux Labex et Idex).
Ces EUR entraînent la mise en place d’une formation à plusieurs vitesses, par l’octroi de moyens supplémentaires aux formations et aux laboratoires qui les accueillent, et mettent en danger les formations existantes qui en seraient exclues.
Dans ce cadre, le maintien des écoles doctorales sans EUR associée suscite des questions. Comment ces EUR se positionneront-elles au sein d’une Comue ou d’une université ? Quelles concurrences/articulations avec les écoles et collèges doctoraux ? Comment maintenir les masters et les doctorats, et donc nos recherches et nos laboratoires en dehors de ces EUR ? Dans la lignée, la formation à et par la recherche pourra-t-elle continuer en licence si les masters et doctorats ne se retrouvent réservés qu’au petit nombre d’EUR retenues ?
Le SNESUP condamne leur mise en œuvre et la logique néolibérale d’« excellence » qui la sous-tend. Le SNESUP condamne le silence dans lequel ces EUR sont mises en place.

 

Open source et open data
La loi numérique ouvre de nouvelles perspectives concernant l’open source et l’open data. Le SNESUP constate l’abus d’utilisation du concept d’open access par des revues libres mais dont la mise en ligne est payante. La notion d’open access, telle qu’utilisée dans la loi numérique, entend le libre accès et le partage des informations, notamment celles produites dans le cadre de la fonction publique.
Au-delà de ce point, apparaissent le danger de publications de données erronées car non objectivées par des pairs et un danger de disparition des revues (notamment papier) qui restent pourtant indispensables (dossiers thématiques, etc.). En effet, la réduction des délais d’embargo dans la loi numérique conduit à une diminution des abonnements à ces revues, pouvant de ce fait entraîner leur disparition. En revanche, le SNESUP dénonce l’oligarchie des grands groupes d’édition de revues et les coûts astronomiques d’abonnement qu’ils imposent à l’ensemble de la communauté scientifique mondiale.

Pour : 59
Abst. : 6